Manager aujourd’hui : Bertrand Jouvenot décline les nouvelles tendances managériales
Crises environnementales, économiques, politiques, organisationnelles, etc. Sur tous les fronts, les managers doivent relever de multiples défis. Afin d’y voir plus clair, nous avons interviewé Bertrand Jouvenot, auteur et consultant en matière de problématiques managériales. Nous avons pu ainsi nous focaliser sur les thèmes clés de son livre Manager aujourd’hui, Les 25 nouvelles tendances, à paraître aux éditions De Boeck le 20 septembre prochain.
Bertrand Jouvenot se définit comme un digital professional native. Né professionnellement avec Internet, il a été l’un des pionniers du web en France avec Club Internet. Par la suite, il a poursuivi sa carrière au sein de grands groupes : Alcatel, le groupe PPR rebaptisé depuis Kering, Celio, Cerutti. Il est également passé par Altares, dont il a été le Chief Digital Officer. En termes de management, il a tout connu : monter sa propre équipe, trouver une équipe déjà constituée. Il a expérimenté le management direct, transverse ou encore international. Certaines expériences ont été couronnés de succès, d’autres, non. Si bien qu’il a aujourd’hui une vision à 360° du métier de manager.
Il a ainsi été l’acteur et le témoin de la transformation digitale des entreprises (e-commerce). Cela l’a conduit à conduire des changements impactant profondément le management. En parallèle, il est l’auteur de plusieurs livres. Également enseignant, blogger, il est aujourd’hui conseil indépendant. Il a ainsi travaillé pour Sanofi, Bouygues, Dior, Morgan, Nuxe, Pixmania, sans compter nombre de PME.
Bertrand Jouvenot est un auteur apprécié par les femmes ! Photo : (c) édition De Boeck. Vidéo : (c) La Tribune de l’Initiative.
Taylorisme : un système devenu inadapté
Bertrand regrette que nous soyons encore aujourd’hui les héritiers du taylorisme. Certaines entreprises sont ainsi organisées selon des principes rigides et compartimentées. La création de silos au sein des organisations favorise une mentalité impropre à aborder les défis du monde contemporain. En effet, le taylorisme a été inventé pour des contextes caractérisés par la stabilité, démontrant alors sa redoutable efficacité productive.
Cependant, le monde d’aujourd’hui est bien différent. Les entreprises font aujourd’hui face à de multiples défis : crises économiques, politiques, nouvelles aspirations des jeunes, remises en question de l’autorité, crise écologique, etc. Sans compter la crise du management. En effet, celui-ci se retrouve en équilibre précaire entre la pression venue d’en-haut, d’une part, et la gestion d’équipes débordées et déboussolées, d’autre part. Dans de telles conditions, les limites du taylorisme apparaissent clairement.
Pourtant, « le taylorisme reste ancré dans les esprits, les habitudes et les pratiques. Inconsciemment, nous avons du mal à nous en débarrasser. Alors qu’il devient vraiment urgent de passer à autre chose ».
Le manager : un acteur clé de l’entreprise à l’image dégradée
« La définition du management change selon les cultures », rappelle Bertrand. Venu des États-Unis, il désigne dans ce pays l’art d’organiser les ressources de l’entreprise afin de lui permettre d’atteindre ses objectifs. Cela concerne les ressources humaines, mais aussi financières ou logistiques. En France, la conception du management est plus restrictive. Elle désigne en effet le travail réalisé par une catégorie de collaborateurs de l’entreprise : les managers.
Cette différence explique en partie la mauvaise image du manager en France. D’autant qu’il tire sa légitimité de deux sources : institutionnelle, d’une part, personnelle, d’autre part. Dans le premier cas, les collaborateurs lui doivent obéissance car il a été mandaté par l’entreprise pour réaliser un certain type de tâches. Dans le deuxième cas, le manager est respecté car il a un talent particulier, qui permet à son leadership de naturellement s’imposer.
Coincé entre le marteau de sa direction et l’enclume de ses équipes, le manager est une catégorie de personnels qui souffre beaucoup aujourd’hui en France. Selon Bertrand, « trouver un bon équilibre est une gageure pour nombre d’entre eux. Cela dépend néanmoins des profils d’individus, de la phase dans laquelle ils se trouvent dans leur carrière. Certains profils seniors n’acceptent ainsi plus de faire les mêmes sacrifices qu’à leurs débuts ».
Le manager face à sa direction
Les directions générales ne doivent pourtant pas oublier le rôle de cheville ouvrière que le manager joue au sein des entreprises. À ce titre, Bertrand le décrit comme un élément finalement assez fragile, alors qu’il joue un rôle-clé. « Il s’agit par conséquent d’une population à surveiller, dans le bon sens du terme. Il faut se montrer bienveillant envers elle, en faisant en sorte qu’elle soit à l’aise avec la politique générale de l’entreprise. Elle aura ainsi envie de la décliner auprès de l’ensemble des collaborateurs ».
Plus profondément, se pose la question de l’adéquation entre un individu ayant une personnalité et des aspirations propres, d’une part, et son entreprise, d’autre part. Il s’agit au maximum d’éviter la contradiction entre les valeurs du manager, et celles de son employeur.
Le manager vis-à-vis de ses équipes
Pour diriger ses équipes, le manager dispose de deux leviers importants, qui sont la formation d’une part, et les outils numériques, d’autre part. Dans le premier cas, il doit favoriser une démarche active d’apprentissage. Les collaborateurs cherchent alors à acquérir les savoirs et les informations par eux-mêmes. Selon Bertrand, le processus passif d’éducation où chacun attend passivement d’être formé est obsolète. En effet, entre l’identification des besoins et le déploiement des séances de formation, il se passe beaucoup trop de temps. Or, l’environnement change si vite que les compétences deviennent rapidement obsolètes, du fait des changements d’outils, etc.
En lieu et place, les individus doivent désormais se prendre en mains. Selon Bertrand, « cela recouvre un enjeu énorme pour le manager. Car tout le monde n’est pas dans cet état d’esprit. Ainsi, certains individus ne feront jamais cela par eux-mêmes, et il faudra les y encourager ». En conséquence, le manager devra échanger régulièrement avec ses équipes. Il s’agira pour lui de faire usage de persuasion et de constater les progrès réalisés par chacun.
Révolution numérique et nouveaux modes de gestion des équipes
Par ailleurs, avec la révolution numérique, chacun entretient des interactions toujours plus nombreuses avec l’extérieur. Les modalités de communication deviennent multiples : téléphone, emails, plateformes collaboratives de type Workplace, etc.).
Dans un tel contexte, il devient plus difficile pour le manager de veiller à ce que chacun soit efficace et productif. Comme le note Bertrand, « certaines personnes sont apparemment très occupées toute la journée. Elles décrochent leur téléphone 50 fois. Ou alors elles passent d’une application à l’autre sans arrêt, etc. Si bien qu’on a l’impression que la quantité de travail qu’elles réalisent est énorme. Cependant, la productivité est-elle au rendez-vous pour autant ? Rien n’est moins sûr ». Il revient pourtant au manager de s’assurer que tel est bien le cas.
D’autant que lui-même doit apprendre l’automation afin de gagner du temps. Cela lui permettra de réaliser certaines tâches beaucoup plus rapidement que par le passé. Il en sera ainsi des plannings d’équipe mouvants. Ou encore de la construction de budgets, etc. Certaines de ces tâches étaient autrefois confiées à une assistante. L’assistante ayant disparu, le manager doit désormais réaliser énormément de tâches administratives. Il doit donc avoir recours à des logiciels de partage de l’information, d’organisation du travail collectif ou de réunions. Parfois, ces outils sont trop nombreux, introduisant par là une nouvelle complexité.
Empêcher l’entreprise de vieillir
L’une des missions du management consiste à empêcher l’entreprise de devenir sa propre ennemie. À ce propos, Bertrand compare l’évolution d’une entreprise au processus de vieillissement du corps humain. « Au bout d’un moment, cela finit par se gripper, dysfonctionner, se dégrader et s’abîmer. Il faut donc être très vigilant et ne pas relâcher ses efforts. Un peu comme une personne qui va décider de s’entretenir en ne buvant plus d’alcool, en mangeant sainement tout en adoptant un pratique sportive régulière ».
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Bertrand poursuit : « dans le cas d’une entreprise, c’est la même chose. Elle doit respecter une certaine discipline pour veiller à pas s’endormir sur ses lauriers ». De ce point de vue, la culture d’entreprise peut se révéler capitale pour encourager une certaine remise en question.
Il s’agit de ne pas reproduire la mésaventure de certaines entreprises. Celles-ci ont soudainement été dépassées par de nouveaux entrants disruptant leur marché. À cet égard, les constructeurs automobiles constituent un bon exemple. « Tout à coup, ils sont distancés, sans avoir vu arriver la révolution de l’électromobilité menée par Tesla, etc. »
L’intrapreneuriat, une solution ?
Pour se rajeunir, certaines entreprises veulent transformer leurs collaborateurs en ‘intrapreneurs’. Zappos, par exemple, a créé une culture d’entreprise atypique. Elle fonctionne selon un principe a-hiérarchique. Par exemple, le bureau du PDG de Zappos est perdu au milieu de celui de ses collaborateurs. De même, la maison mère de TikTok, ByteDance, fonctionne selon des principes similaires. Pour autant, Bertrand se révèle prudent par rapport à ces nouvelles tendances. « Cela fonctionnera-t-il éternellement ? Peut-on appliquer de tels principes à toutes les entreprises, quels que soient la phase de leur vie ou leur secteur d’appartenance ? Rien n’est moins sûr ». Finalement, le management de l’entreprise est une fonction finissant toujours par réapparaître.
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