Dans la première partie de son témoignage, Aude Selly, autrice d’Autopsie d’un burn-out paru aux éditions Dunod le 7 septembre dernier, nous raconte les conditions qui l’ont amenée à faire un grave burn-out. Si grave qu’elle attente à ses propres jours. Dans la suite de son récit, elle nous raconte comment elle en est venue aux dernières extrémités. Puis elle aborde sa période de reconstruction. Elle en profite pour nous livrer certaines clés pour éviter d’en passer par là. Selon elle, il revient aux employeurs de repenser le monde du travail autour du dialogue avec les collaborateurs…
Selon Aude Selly, son passage à l’acte est arrivé tout d’un coup, comme une chose complètement imprévisible, qu’elle n’avait aucunement planifiée. « Cela vous tombe dessus comme un mur. Le jour où j’ai pris la décision de faire cette TS, je venais d’apprendre que la promotion que l’on m’avait promise était annulée. À la veille d’un grand évènement devant rassembler les personnes du département aux États-Unis, on m’a dit : ‘non’ ».
Burn-out : plongée dans les abysses
Pour Aude, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. « Le lendemain, je voulais démissionner pour dire stop. Mais je n’ai pas été reçue. Ce jour-là, j’ai échangé avec une personne importante de la société. Elle m’a dit : ‘vas-y, parle au PDG’. Cependant, la fatigue que je ressentais était si intense, que je n’en ai pas eu la force ».
À la fin de sa journée, Aude rentre chez elle. Elle continue de travailler pour boucler ses derniers dossiers. Elle décide tout de même d’envoyer un message à son PDG pour lui expliquer concrètement ses difficultés, sans lui dire qu’elle se prépare à commettre l’irréparable. « Je lui ai écrit à 22 heures. Il m’a répondu dix minutes après : ‘Aude, on en reparlera quand vous reviendrez’. Mais pour moi, c’était trop tard. J’étais arrivée au bout ».
Le lendemain, Aude se rend à l’hôpital pour subir une opération sous anesthésie générale. Auparavant, elle avale une boîte entière de cachets. Avant d’entrer au bloc opératoire, elle discute avec son compagnon, avec lequel elle vit encore aujourd’hui. À un moment donné, il prononce les mots de « maman » ou de « mère ». À ce moment-là, alors qu’elle est allongée sur le brancard qui l’emmène au bloc, elle voit les portes se refermer sur lui. Cette image provoque un sursaut chez elle. Elle ment et part se faire vomir aux toilettes. Après, elle se réveille à l’hôpital.
La reconstruction post burn-out
Pendant le long chemin de sa rémission, Aude a pu compter sur son médecin traitant, renouvelant son arrêt-maladie en tant que de besoin, la psychologue du travail et un entourage bienveillant. Elle ne cache pas avoir eu également recours à la médication.
Elle s’est arrêtée de travailler pendant dix-huit mois. Pour elle, ce temps de repos est absolument nécessaire pour que le corps reprenne vie. « La batterie a commencé à se recharger. Il fallait aussi gérer le quotidien, parler, voir mon médecin. Sans parler du sentiment de culpabilité qui me dévorait ». C’est la raison pour laquelle la reconstruction est progressive. Elle ne peut s’effectuer du jour au lendemain.
Au cours de ces 18 mois, Aude apprend à redevenir à nouveau fonctionnelle. Pendant cette période, elle se tient à l’écart de son ancien environnement professionnel, délétère. « J’ai pu alors m’engager sur le chemin de ma rémission. Cela m’a pris encore plus longtemps pour retrouver l’envie et décider de ce que je voulais faire ».
En effet, 100% des personnes qui ont vécu un burn-out ne veulent pas repasser par l’enfer qu’elles ont vécu. Dans son livre, Aude consacre plusieurs chapitres à la phase de reconstruction et de réinvention. Cela amène à réfléchir à autre chose. « Il y a une question centrale pour éviter de rechuter. Il faut rechercher les raisons pour lesquelles on s’est autant investie dans son travail. Cela nécessite de faire une introspection approfondie, loin de l’action et de l’urgence ».
Pour Aude Selly, les personnes en situation de burn-out ne doivent pas changer les valeurs qui les animent : conscience professionnelle, volonté de bien-faire, loyauté envers leurs équipes et leur employeur. C’est bien plutôt à ce dernier d’instaurer une atmosphère propice au dialogue, à la libération de la parole dans la bienveillance. Le but est d’instaurer un climat de travail propice aux personnes de bonne volonté.
Pour un autre modèle de société
Cela l’amène à s’interroger sur le modèle de la société dans lequel nous vivons, entièrement tourné vers la performance. Le non-travail est mal vu. La charge mentale est très importante, notamment pour les femmes. D’autant que l’actualité devient toujours plus anxiogène, entre crise sanitaire et réchauffement climatique. Elle doit se rendre à l’évidence : « si j’ai choisi de tenir aussi longtemps, c’est parce que je voulais pouvoir continuer de payer mes factures. De plus, il s’agissait d’un poste que j’avais longtemps attendu. J’avais l’espoir que cela s’arrangerait, mais cela ne s’est pas passé ainsi ».
Petit à petit, Aude se sent à même de reprendre le travail. En l’occurrence, elle choisit de se lancer dans un nouveau cursus d’études, à mesure que ses capacités cognitives lui reviennent. Grâce au repos, elle peut à nouveau se projeter. Elle parvient à récupérer sa confiance et son estime de soi. Cependant, elle lance un avertissement : « on ne peut pas se sortir seule d’un burn-out. Il convient de se faire suivre par du personnel de santé. Mieux encore : s’adjoindre les conseils d’un coach professionnel ».
Après s’être posé la question de ce qu’elle voulait vraiment faire, elle en déduit qu’elle ne souhaite pas retourner en ressources humaines. Elle entame des études pour devenir conseillère en prévention des risques psycho-sociaux en 2016. « Quand j’ai fait mon burn-out en 2012, le sujet n’étais pas évoqué et je ne savais même pas de quoi il en retournait. Aujourd’hui, je suis autrice et conférencière. Surtout, je suis devenue coach en neuro-sciences pour aider les femmes en surcharge mentale grâce aux stratégies à l’œuvre dans le cerveau et à l’analyse comportementale ».
Aujourd’hui, qui est concerné par le burn-out ?
Selon Aude, le burn-out est la ‘maladie des forts’. Il touche ceux et celles qui se refusent à baisser les bras. Même si la personne éprouve des difficultés, elle va faire son possible pour redresser la situation, seule. Paradoxalement, les personnes impliquées, consciencieuses et compétentes sont les plus à même de faire un burn-out. En particulier si elles ne savent pas dire non. Pour autant, elles ne sont pas perfectionnistes. Elles veulent simplement bien faire leur travail, dans les meilleures conditions possibles. « Depuis quand devrait-on reprocher à quelqu’un de vouloir bien faire son travail ? », s’exclame Aude.
Finalement, tout le monde est concerné. Que l’on soit étudiant, indépendant ou salarié. Quel que soit le secteur, le niveau hiérarchique ou l’âge. Les métiers avec une forte composante d’engagement émotionnel sont particulièrement à risque. « On va retrouver les personnes qui travaillent dans la santé, les RH, l’enseignement, mais aussi les pompiers, les policiers ou les membres des forces de l’ordre ».
Un témoignage précieux pour les profils à risque
Lorsqu’elle prend la décision de raconter son burn-out, Aude écrit la partie consacrée à son témoignage en six jours. Elle pense qu’il est important qu’elle partage son histoire. « Si on veut rentrer dans la tête et dans le corps d’une personne qui a fait un burn-out, il faut s’imprégner de son histoire. Énormément de personnes se reconnaissent dans la mienne. Toutes les victimes en passent par là. Quant à celles et ceux en ‘pré burn-out’, ils identifient leurs symptômes en les comparant aux miens. Cela peut servir à prévenir ».
Par la suite, Aude développe dans son livre les étapes clés de sa reconstruction. Finalement, elle essaie de prendre de la hauteur par rapport à une histoire qui lui est arrivée il y a dix ans. Elle a depuis repris ses études, puis elle a rencontré de nombreuses personnes parmi celles qu’elle a accompagnées. En outre, elle s’est exprimée lors de conférences.
Selon Aude, le burn-out ne peut se résumer à une question de définitions ou de statistiques. Il y a au centre de ce problème une question profondément humaine. « Les personnes concernées ont envie d’entendre qu’il est possible de s’en sortir. Elles ont besoin de se sentir comprises ». En particulier, elles doivent se rendre compte de leur propre valeur. C’est justement leur grande conscience professionnelle qui les a menées jusqu’à l’épuisement. Elles se sont effondrées car on ne les a pas aidées.
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Face aux dérèglements induits par le burn-out, Aude ne pense pas que les personnes doivent fondamentalement changer. Au contraire, il revient à l’organisation du travail de s’adapter. Les personnes doivent se poser la question du respect de leurs valeurs par leur organisation.
Selon Aude, le conflit de valeurs se trouve à la racine de tout burn-out. « J’insiste sur la question centrale qu’il convient de se poser : pourquoi me suis-je autant investie dans mon travail ? Pourquoi ai-je continué ? Pourquoi ai-je dépassé mes propres limites ? » Les personnes qui font un burn-out sont pétries de valeur travail. Elles s’interdisent de relâcher leurs efforts, par solidarité vis-à-vis de leurs collègues et par loyauté envers leur employeur.
Ce sont vraiment des qualités qui sont positives et qu’il convient de conserver. En revanche, les regards doivent se tourner vers le monde du travail. En particulier, les employeurs doivent davantage écouter leurs salariés. Cela permettrait d’éviter nombre de situations extrêmes.
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