Les enquêtes policières, Éric Dupuis connaît bien. Fonctionnaire de police pendant 35 ans en région parisienne, il écrit également des polars à succès. En mars 2020, alors que le monde de la culture vacille par suite du confinement, lui vient l’idée de rassembler 22 collègues policiers, dont lui-même. Tous écrivent des romans noirs : il demande à chacun une nouvelle, qu’il rassemble en un recueil. L’ouvrage, 22 V’la les flics, est finalement paru le 26 octobre dernier aux Éditions Lajouanie. Le produit de sa vente doit revenir à l’association des orphelins de la police, Orphéopolis. Interview d’Éric Dupuis, policier au grand cœur ET auteur de polars.
C’est en 1986 qu’Éric Dupuis entame sa carrière dans la police, en tant qu’auxiliaire. Il fait ainsi partie du premier contingent de policiers auxiliaires créé par Charles Pasqua. Par la suite, il entre à l’école de police de Reims en octobre 1987. Sa première affectation le conduit à Asnières, dans les Hauts-de-Seine, dès 1988. Il travaille successivement au service général, à la brigade, la BAC et participe à des unités d’îlotage.
Un parcours de policier exemplaire, jusqu’au grade de Major-Instructeur
Par la suite, il entre au Centre départemental des stages et de la formation de la police des Hauts-de-Seine. « Là, j’ai été moniteur de tir, instructeur en activités physiques. Je me suis également occupé de la formation continue des fonctionnaires de police. Je les préparais notamment à l’habilitation au port du bâton de défense et autres armes nouvelles. Entre 2005 et 2010, je me suis aussi occupé des cadets de la République ». Devenu major, il prend la tête d’une équipe pédagogique.
Pour prendre son dernier galon, il n’hésite pas à repartir sur la voie publique en 2018 où il devient responsable d’une Brigade Spécialisée de Terrain (BST) sur la boucle nord des Hauts-de-Seine. « J’avais en charge l’ensemble des cités urbaines se trouvant dans cette zone. Il s’agissait d’un travail de contact auprès d’une population susceptible de commettre des délits », se rappelle-t-il.
Malgré un CV exemplaire, Éric cultive en outre un profil d’artiste. À un moment donné, il écrit les scénarios de ses propres B.D. Car il dessine, aussi. « J’ai fait des B.D. un peu gores, un peu noires. Par la suite, je me suis mis à faire des comics en dernière page d’un magazine diffusé dans les commissariats : ‘Gyrophare’. La séquence s’intitulait ‘Les aventures du GPX Laboulette’. J’y racontais les aventures d’un personnage, véritable Gaston Lagaffe de la police ». Le dessin et l’écriture occupent ainsi son esprit, l’empêchant de tomber dans une noirceur excessive. Car certaines missions se révèlent difficiles.
La genèse du projet 22 V’la les flics
Pendant le confinement de mars 2020, Éric contacte 21 de ses ami(e)s policiers/ères encore en activité ou retraité(e)s. Tous sont auteurs ou autrices de polars. Afin de surmonter l’apathie culturelle ambiante, Éric lance l’idée d’un ouvrage collectif, en partant de l’adage « 22 v’là les flics ! ». Voulant combiner la sortie de cet ouvrage avec une bonne action, il convainc ses collègues de reverser l’intégralité de leurs droits d’auteur à Orphéopolis*. Car il souhaite apporter son soutien à l’association de protection des orphelins de la police.
L’ouvrage sort finalement le 26 octobre dernier. Comme Éric l’explique, « je tenais à réunir des policiers et anciens policiers uniquement. Car là se situait l’originalité de ce recueil. Nous y sommes parvenus, grâce au soutien des Éditions Lajouanie, et j’en suis très fier ».
Eric Dupuis : « contrairement à ce qu’on peut penser, aucun de mes livres n’est puisé dans mon vécu de policier… » Photo : (c) éditions Lajouanie. Vidéo : (c) LaTDI.
Éric Depuis : policier, et aussi auteur
« Mes parents étaient enseignants », lâche Éric, lorsque nous lui demandons d’où provient son goût pour l’écriture. « J’ai toujours été attiré par l’écriture, la lecture et la philosophie ». Quand il entre dans la police, Éric est étonné par le nombre de rapports et autres procès-verbaux qu’il doit rédiger.
Bien entendu, le fait d’écrire un polar s’éloigne par bien des aspects de la rédaction d’un rapport administratif. « Écrire un livre représente un travail de longue haleine. Il faut être passionné. Le plus souvent, l’écrivain est seul devant son ordinateur. Ce n’est qu’à l’occasion des salons et autres séances de dédicaces qu’il finit par sortir de chez lui pour échanger sur ses écrits. Il s’agit par conséquent d’un dur labeur, nécessitant de l’endurance et un certain goût pour la solitude ».
Des situations donnant matière à écrire
Par ailleurs, les situations hors du commun auxquelles les policiers se confrontent donnent matière à écrire. « J’ai vu beaucoup de choses dramatiques dans ma carrière sur la voie publique pendant mes jeunes années. Je me suis retrouvé sur des suicides, des meurtres, au contact de nombreux cadavres. À l’époque, nous n’avions pas de service mortuaire. Nous n’avions même pas de gants. Je prenais les corps comme ça, à pleines mains. Certains étaient en très mauvais état. Cela marque un jeune esprit ».
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Même si Éric pratique plusieurs disciplines sportives, dont le Krav-maga, l’écriture contribue à l’apaiser et le rasséréner. Elle lui permet de transmettre son ressenti face à certaines situations, parfois choquantes. Car il convient de ne pas oublier que le policier est un civil comme les autres. Mis à part qu’il a un devoir et des missions particulières. Son métier le confronte ainsi à des situations très noires . « Et ce n’est pas toujours facile », concède Éric.
Les sources d’inspiration d’Éric Dupuis
Pour lui, Stephen King demeure un grand maître de la littérature noire. Tout comme Harlan Coben, Maxime Chattam ou encore Franck Thilliez. Rien ne lui plaît davantage que les histoires les plus réalistes de ces auteurs, par opposition à leurs œuvres fantastiques. « Moi, je suis plutôt quelqu’un de terre-à-terre », explique-t-il.
Éric se définit comme un raconteur d’histoires. À ce propos, il ne se considère pas comme un écrivain, mais comme un auteur. « Mon don consiste à raconter des enquêtes policières. Je sais écrire des histoires à rebondissements multiples. J’aime surprendre mon lecteur. Avec moi, attendez-vous à l’inattendu ! Je ne dévoile l’identité du coupable qu’au tout dernier moment ! Enfin, j’aime le réalisme décrit avec exactitude. Le but est d’insinuer une certaine crainte chez le lecteur. Et si la scène qu’il venait de lire se produisait à côté de chez lui ? »
Des enquêtes faisant référence à l’histoire
Même s’il place ses intrigues dans le contexte actuel, Éric avoue un faible pour l’Histoire. Dans ses polars, il ajoute invariablement une toile de fond historique. Que ce soit la guerre d’Algérie ou la période de la Résistance. Or, « cela nécessite certaines recherches », fait-il remarquer.
C’est notamment le cas de son polar Apaches, paru aux éditions des Presses du Midi en 2020. Dans ce livre, il immerge son lecteur dans le Paris de la Belle Époque. « Afin de rendre l’atmosphère d’alors, il a fallu que je me livre à des recherches importantes. J’ai même étudié le parler de l’époque », confie-t-il. Ce livre reçoit d’ailleurs le Prix Méditerranée Roussillon en 2021. Il aborde les thèmes de la condition féminine, ou encore le phénomène anarchiste. Il fait même le lien avec les gilets jaunes des années 2020.
Éric Dupuis : auteur de polars sociaux
Éric revendique son statut d’« auteur de polars ». Selon lui, « le polar se différencie du roman policier en ce qu’il traite d’un fait sociétal. Or, tous mes livres évoquent un fait sociétal. Dans Aussi noir que le charbon, paru chez Ravet-Anceau en 2016, je parle de la lutte des classes. Dans Le Clan, paru chez Cairn en 2021, je m’intéresse à la condition de militaires laissés pour compte après toute une carrière passée dans l’armée ». Éric se sert donc de ses livres pour jeter la lumière sur des causes qui le touchent.
Il veut donc faire passer un message, autour des notions d’ordre, de sécurité, de respect et de tolérance. C’était déjà le cas lorsqu’il se rendait dans les centres de loisirs, auprès des jeunes des cités. « J’étais détaché de mon service de voie publique au sein duquel je faisais de la répression. Tout à coup, je me retrouvais à faire de la prévention auprès de ces jeunes ». Il en est de même dans ses livres. Il y fait de la prévention en attirant l’attention du lecteur sur certains problèmes sociaux. Tout en lui procurant beaucoup de plaisir… par ses enquêtes policières au rythme haletant !
* Depuis plus d’un siècle, Orphéopolis apporte soutiens financier, matériel et émotionnel aux familles de policiers frappées par le deuil. L’association accompagne les orphelins jusqu’à leur entrée dans la vie active, en les accueillant, dans certains cas, au sein de ses villages d’Agde, Bourges et Nancy. Stéphane Boutelière en était le président depuis 2013. Il vient malheureusement de nous quitter. Nous en profitons pour présenter nos condoléances à sa famille et à ses proches.
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