Depuis 2019, Gleeph, application pour smartphone, offre à ses abonnés des recommandations de lecture. Avec 500.000 abonnés en France, son co-fondateur Khalil Mouna aborde à présent les marchés de l’édition espagnol et britannique. L’idée consiste à faire grossir la data pour offrir des recommandations actualisées et affinées. Gleeph veut ainsi démocratiser et rationaliser le marché de l’édition en permettant à chaque livre de trouver son lecteur. Dans cette interview, Khalil nous montre que c’est possible !
Gleeph a désormais atteint le seuil des 500.000 abonnés. Est-ce suffisant, sachant qu’un réseau social, pour qu’il soit rentable, doit s’appuyer sur une base de dix millions d’abonnés ? Khalil Mouna, co-fondateur de Gleeph, explique avoir inventé un réseau social vertueux. « Certes, nous n’avons pas encore atteint les 10 millions d’abonnés. Seulement, nous bénéficions aujourd’hui du plus grand panel de lecteurs français, représentant 2% du lectorat national. Nous avons également de nouveaux livres tous les jours : 30 à 60 nouvelles références. L’actualisation de nos données permet de garantir la qualité de notre data. »
Par ailleurs, le modèle économique de Gleeph s’adresse essentiellement aux éditeurs et autres acteurs commerciaux de la chaîne du livre. « Nous ne gagnons pas d’argent avec nos abonnés, en ne faisant aucune pub sur Gleeph. C’est un parti pris fondamental : nous veillons à conserver la pureté de la donnée ». Khalil est donc parfaitement conscient de la nécessité de protéger la neutralité de son panel de lecteurs, pour garantir l’efficacité de sa recommandation.
La donnée qualitative de Gleeph
Cependant, Khalil se doute bien que les lecteurs vont, la plupart du temps, renseigner leur bibliothèque numérique dans Gleeph de façon incomplète. « Même si le processus est très simple, puisqu’il suffit simplement de scanner l’ISBN de ses livres ». C’est la raison pour laquelle Khalil a l’idée de proposer 13 recommandations par jour via Gleeph.
Comme il l’explique, « au début, nous voulions ne faire qu’une ou deux recommandations par jour. Finalement, nous en faisons 13 par jour, car cela permet d’avoir une meilleure connaissance de la bibliothèque de nos utilisateurs. En effet, parmi les 13 recommandations, se glissent souvent des livres que les personnes ont déjà lus. Les recommandations sont donc un moyen pour nous de faire grossir la data. Car les personnes ont la possibilité en un clic de nous faire savoir qu’elles ont déjà lu le livre recommandé… ce qui arrive une fois sur deux ! »
Khalil a donc bien conscience de devoir régulièrement alimenter son réseau social par de nouveaux utilisateurs. Sous peine de voir sa base de données dépérir.
La recommandation Gleeph, particulièrement adaptée au secteur du livre
Forts de leurs recommandations faisant invariablement mouche, Khalil et son équipe ont pu adapter leur concept aux revendeurs de livres. Les sites internet, notamment, sont friands de séquences du type : « vous avez aimé, alors vous aimerez ». Cela leur permet de retenir les clients pendant quelques minutes supplémentaires… qui peuvent s’avérer capitales pour faire grossir les panier d’achats.
Pour autant, l’algorithme de Gleeph est-il duplicable à d’autres secteurs que le livre ? Pour l’instant, Khalil choisit de s’en tenir à son domaine de spécialité. « Ce qui rend le secteur du livre si particulier réside dans la structuration de son offre. Cette dernière est incroyablement pléthorique. Aujourd’hui, en France, trois millions et demi de titres sont proposés à la vente en permanence. À titre de comparaison, l’offre de films est bien moindre. La recommandation s’applique donc particulièrement au secteur des livres ».
Des recommandations simples, jusqu’aux études les plus complexes
Il est vrai qu’en matière de musique, les auditeurs s’en tiennent au tunnel de leurs propres goûts (classique, jazz, rock, électronique, etc.). Au contraire, les choix des lecteurs sont bien plus éclectiques. Ils peuvent ainsi s’intéresser aux mangas, même s’ils ne connaissent pas bien le genre. « C’est mon cas, reconnaît Khalil. Alors que je n’y connais rien, j’ai récemment lu un manga sur le vin (Les Gouttes de Dieu), suite à une recommandation de Gleeph ». Ainsi, grâce à cette appli, les lecteurs ont la possibilité de découvrir des univers complètement inattendus, dont ils ne pensaient pas qu’ils pourraient leur plaire.
Cette recommandation simple s’adresse aux lecteurs lambda, tout comme aux revendeurs de livres cherchant à gagner en interaction avec leurs clients pour mieux les retenir. À l’attention des éditeurs, Khalil propose des études plus complexes de profilage du lectorat d’une œuvre, par exemple. Finalement, il s’intéresse aussi aux diffuseurs, autrement dit aux acteurs qui acheminent les livres auprès des libraires.
La recommandation Gleeph à l’attention des diffuseurs de livres
Khalil n’a donc pas besoin de « vendre » sa communauté d’abonnés à des annonceurs. Il a en effet trouvé le moyen de faire du business en parallèle. Ainsi, il remarque que le marché français est entre les mains de deux diffuseurs principaux, Editis et Hachette. Rappelons que le diffuseur est un commerçant sponsorisant un livre auprès des distributeurs, c’est-à-dire les libraires. Avec le système de « l’office », Editis ou Hachette obligent les distributeurs à acheter une liste pré-établie de publications. Comme l’explique Khalil, « nous réalisons alors des recherches sur des recommandations par rapport à des profils de libraires, non plus de lecteurs ».
En effet, Khalil pense que les livres proposés dans une librairie ont une cohérence, en fonction de la zone de chalandise dans laquelle se trouve cette dernière. « Nous avons le sentiment que nous pourrions gagner en précision. Si nos recommandations étaient prises en compte, nous pourrions faire baisser le nombre de livres mis au pilon ». Il poursuit : « notre prochain terrain d’action se situe donc à ce niveau : affiner la diffusion des livres ».
Un impact démontré sur les ventes en librairies
Certes, il ne veut pas empiéter sur le travail des représentants. Ces derniers sont les personnages se rendant chez les libraires avec une liste de livres sous le bras. « Or, un représentant ne pourra lire et recommander que 100 à 150 titres dans l’année. En comparaison, la recommandation basée sur notre algorithme peut traiter sans problème 20.000 titres par an. De la même façon que nous regardons la bibliothèque existante d’un lecteur pour lui faire nos recommandations, nous regardons la liste de livres que le libraire aura le plus vendus ».
Khalil Mouna : Gleeph, une application spécialisée dans la recommandation de lectures. Photo et vidéo : (c) LaTDI
Il s’agit donc d’un nouveau format de recommandations. Selon Khalil, il fonctionne. « Nous avons travaillé sur un échantillon de 2.000 librairies et plus de 50 titres. Cela marche mieux qu’une recommandation éditoriale simple fondée sur les meilleures ventes des six derniers mois ».
Gleeph aborde les marchés hispanophones et anglophones
Tout en approfondissant sa présence parmi les acteurs du monde du livre en France, Gleeph part aussi à la conquête des marchés étrangers. En ce moment, la start-up conduit une expérimentation sur le marché espagnol avec un partenaire local… pour faire de la recommandation.
Gleeph a également le projet de se dupliquer en Angleterre. Avec deux gros sujets, cependant. « Nous devons constituer la donnée-livre, en nouant des partenariats avec des acteurs locaux pour acquérir la donnée-livre anglaise. Par ailleurs, nous voulons élaborer une interface avec les revendeurs libraires. Il nous faut lever ces deux obstacles avant de pouvoir démarrer ».
Khalil note que, pour Gleeph, « l’internationalisation est finalement assez simple ». En effet, le système du livre est complètement international. Le code ISBN fonctionne partout de la même façon. Si bien que les efforts de localisation se concentrent sur des tâches telle que la traduction.
Le manifeste de Gleeph : chaque livre doit pouvoir trouver son lecteur
Dernière observation de Khalil concernant le marché du livre : il constate son degré de concentration excessif. « Certains livres dont on parle beaucoup se vendent énormément. Au contraire, de nombreux autres titres, inconnus, ne se vendent pas, même s’ils sont qualitatifs. En France, aujourd’hui, 70.000 titres sont publiés par an. Cela représente plus de 300 titres par jour. Or, on n’entend parler que de 600 titres à la rentrée de septembre. Auxquels viennent s’ajouter 300 titres en janvier. Ce qui ne représente finalement que trois jours d’édition ». Pour sa part, Khalil trouve ce phénomène de concentration un peu dommage.
Avec Gleeph, il souhaite contribuer à déconcentrer les ventes, car les écrivains les moins connus l’intéressent. Il pense ainsi aux centaines de milliers de titres ne parvenant pas à trouver leur lecteur. « 99,7% des livres édités aujourd’hui sont imprimés à moins de 5.000 exemplaires », rappelle-t-il. Statistiquement, l’éventualité pour un auteur de trouver son lecteur est quasi-nulle. Or, pour Khalil, « tous les titres ont leur lecteur. Et nous voulons le démontrer avec Gleeph ».
À lire également : Gleeph et le business de la recommandation de lectures (Khalil Mouna).
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