En 2017, alors qu’il est dans un train, Khalil Mouna ne réagit pas assez rapidement lorsqu’une personne lisant le même livre que lui descend à la gare suivante. Il regrette de ne pas lui avoir adressé la parole. Cette personne, il ne la rencontrera plus jamais. Pour éviter ce genre de situations, il met au point, avec son associé Guillaume Debaig, un réseau social à l’attention des lecteurs, Gleeph. Nous avons rencontré Khalil pour qu’il nous parle de son idée et de son modèle économique.
Bien qu’il soit diplômé d’une école d’ingénieurs, Khalil Mouna l’avoue sans fard : « Je ne suis pas du tout impliqué dans le développement technique de l’algorithme de recommandations de lectures, au cœur de Gleeph. Nous disposons d’un data scientist star qui a réussi à mettre au point cette merveille. À tel point qu’elle est depuis devenue le graal pour tout lecteur et tout éditeur. Après deux années de recherches, cet algorithme s’est mis à fonctionner de façon redoutable, du jour au lendemain. Finalement, il existe bien une recette au Coca ! » ajoute notre interlocuteur, non sans humour.
En revanche, Khalil est à l’origine de l’idée de faire de la recommandation. C’est également lui qui multiplie les usages associés à son algorithme. « Par exemple, explique-t-il, vous avez placé trois ou quatre livres dans votre panier d’achats. Nous sommes en mesure de vous faire quelques suggestions d’achats complémentaires en rapport avec le contenu de votre panier ».
Khalil Mouna, entrepreneur ET littéraire
Tout en jouant le rôle de stratège pour Gleeph, Khalil se montre par ailleurs un lecteur avide. Même s’il est davantage orienté vers les essais philosophiques que la littérature générale. « J’aime beaucoup les ouvrages de Gérald Bronner, en particulier L’Apocalypse cognitive, qui est absolument génial ! En revanche, je ne lis pas beaucoup de romans. Plutôt de la science-fiction. Ou alors des romans un peu pointus, partant de constats simples, qui vous amènent vers une direction inattendue ».
Par exemple, son roman préféré est une dystopie : L’Homme-dé, de Luke Rhinehart. Le récit est centré sur le parcours d’un homme, alors qu’il est plongé dans la dépression. Ce dernier finit par jouer toutes ses décisions aux dés. Depuis les plus importantes jusqu’aux plus triviales. Cela fonctionne si bien qu’il prend la tête d’une secte regroupant les individus soumettant toutes leurs décisions au lancer de dés. « C’est le genre d’histoires que j’aime bien », nous confie l’entrepreneur.
La recommandation de Gleeph : comment ça marche ?
Pour les lecteurs, le succès remporté par l’application Gleeph tient à l’algorithme de recommandations qu’elle intègre. En effet, ce dernier établit des liens entre un livre et plusieurs autres ouvrages. « Nous regardons l’occurrence d’un livre dans la bibliothèque de nos utilisateurs. Puis nous établissons un lien avec les autres livres présents dans la bibliothèque de cet utilisateur. Finalement, ce sont les utilisateurs de notre application Gleeph qui nous permettent d’établir des liens entre les livres qu’ils possèdent. Gleeph, c’est 500.000 utilisateurs, autant de bibliothèques et 23 millions de livres répertoriés. C’est la plus grande base de données sur les bibliothèques personnelles des lecteurs en France ».
Cette énorme base de données donne une connaissance fine et profonde des goûts des lecteurs. Cela est très intéressant quand on cherche à établir leur profil « profond ». Les concurrents de Gleeph, en revanche, ne disposent que d’une information très parcellaire. Un revendeur tel que la Fnac, par exemple, n’aura accès qu’aux données des personnes ayant acheté des livres dans son enseigne. Or, les lecteurs ont des habitudes d’achats très diversifiées. Entre les librairies indépendantes, les achats sur internet en urgence, le téléchargement d’audiolivres, de livres au format numérique, etc.
Gleeph et sa base de données profondes, sans aucun biais
De plus, un livre sur deux est acheté, non pas pour l’acheteur lui-même, mais pour un tiers. Autrement dit, les bibliothèques des lecteurs sont remplies de livres qu’ils ont reçus en cadeaux. Cette donnée est très difficile à capter. Seul le propriétaire de la bibliothèque est susceptible de révéler cette information.
Donc, la donnée de Gleeph est très forte, sans aucun biais. « C’est la raison pour laquelle nous parvenons à faire de la recommandation de très bonne qualité. Les grands acteurs du marché du livre, Amazon ou Fnac en tête, ont une recommandation moins efficace. En ce qui nous concerne, 100% des livres de nos lecteurs leur appartiennent. Le secret de la recommandation qui marche se trouve à ce niveau ».
Éviter le tunnel de la recommandation
Par ailleurs, la recommandation réalisée par Gleeph est dénuée de tout effet de tunnel, car elle est diversifiée et seulement liée au facteur humain. « Notre algorithme relève en théorie de l’intelligence artificielle. Moi je dis que c’est de l’intelligence très humaine ».
Les données de Gleeph peuvent être représentées par un tableau de 500.000 colonnes sur 23 millions de lignes, que l’algorithme va traiter tous les soirs. Ce dernier ne sait qu’une seule chose : tel livre est détenu par tel utilisateur. Il ne connaît ni le titre, ni le genre, ni l’auteur, ni même l’identité de l’utilisateur. « Quand on regarde l’algorithme de recommandations fonctionner, c’est très étrange. Ce sont des chiffres, avec d’autres chiffres mis en face. Le code du lecteur est ainsi relié aux codes de plusieurs autres livres ».
Gleeph offre ses services aux professionnels du livre
Outre la recommandation aux lecteurs, Gleeph met son algorithme à disposition des revendeurs de livres. Ils sont ainsi en mesure d’intégrer à leurs sites d’e-commerce le fameux « Si vous avez aimé, alors vous aimerez ». Ce genre de recommandations est très difficile à faire si vous n’avez pas le savoir-faire adéquat.
En termes de trafic, les recommandations incitent les clients à rester plus longtemps sur le site. Elles permettent aux revendeurs de rendre leurs clients plus captifs.
Ne plus faire leur business à l’aveugle : des études pour les éditeurs
Gleeph propose également de réaliser des études pour les éditeurs. « Ces acteurs représentent 50% de notre chiffre d’affaires ». Jusqu’à aujourd’hui, les éditeurs exerçaient leur business à l’aveugle. À partir du moment où le livre était acheté, il ne savait plus rien : ni qui l’avait acheté, lu, comment, à quelle vitesse, etc. En conséquence, les éditeurs, n’ayant aucune connaissance concernant leur lectorat, en étaient réduits à se fier à leur intuition.
A contrario, Gleeph propose des études sur le profil du livre. Par exemple, tel livre est lu par des personnes ayant tel âge, tel sexe. Par ailleurs, elles ont plutôt tel type d’ouvrages dans leur bibliothèque. Or, cette dernière information représente le graal pour tout éditeur. Car il peut ainsi mieux cibler le lancement d’un livre, en bénéficiant d’une vision plus globale et actualisée de son lectorat.
Khalil est bien conscient que le métier d’éditeur est un métier d’offre. Le livre lui-même est son propre moyen de promotion. Autrement dit, pour faire la promotion de son livre, l’éditeur en imprime de nombreux exemplaires. Même s’il sait que la plupart ne seront pas achetés. ce qui n’est pas sans poser certains problèmes environnementaux (gaspillage d’une ressource rare telle que le papier). En France, plus d’un livre sur trois est mis au pilon sans avoir jamais été ouvert. Par manque d’information sur les lecteurs et leurs habitudes de lecture.
À lire également : Avec Gleeph, chaque livre doit pouvoir trouver son lecteur (Khalil Mouna).
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