Les maladies respiratoires chroniques, bien que peu connues du grand public, n’en constituent pas moins un problème majeur de santé publique. Cependant, ces dernières années, par suite de la pandémie de Covid et des efforts de sensibilisation menées par des associations telle que Santé Respiratoire France, le pneumologue Jean-Marie Grosbois note un certain progrès, même s’il est encore insuffisant. Quel est l’état de la santé respiratoire des Français ? Notre système de santé est-il adapté ? Le Dr. Grosbois a bien voulu répondre à nos questions…
Ancien chef de clinique au CHU de Lille, Jean-Marie Grosbois exerce en médecine de ville pendant une quinzaine d’années. « J’exerçais à la fois en cabinet médical classique et aussi en hospitalisation au sein de la clinique de la Louvière, à Lille. Dans les années 1990, j’ai ouvert un centre de réadaptation respiratoire en ambulatoire. Après dix ans, j’ai souhaité développer cette activité non plus en centre, mais au domicile des patients ».
Le Dr. Grosbois crée donc une structure qu’il anime depuis 13 ans, FormAction Santé. Elle recouvre une équipe mobile de treize personnes spécialisée dans la réadaptation à domicile. Cet accompagnement associe le réentraînement à l’effort avec activités physiques adaptées, l’éducation thérapeutique ainsi que l’accompagnement psycho-social et motivationnel du patient. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’éducation thérapeutique aide les patients à acquérir les compétences leur permettant de gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique. « Nous proposons par conséquent un accompagnement global de la personne confrontée aux conséquences de la maladie dans sa vie de tous les jours, en y associant les aidants ».
Des maladies respiratoires chroniques invisibilisées
Comme le déplore le Dr. Grosbois, les malades respiratoires chroniques sont complètement invisibles et inaudibles. La sensibilisation du grand public fait partie des défis que la communauté pneumologique doit relever. En outre, il existe un manque de professionnels de santé spécialisés en pneumologie.
Pourtant, on estime le nombre de patients atteints de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) à 3,5 millions. La BPCO désigne une maladie des bronches et des poumons, conséquence du tabagisme, mais aussi de la pollution extérieure et intérieure. Notre pays compte également trois millions d’asthmatiques. Certains individus sont atteints par les deux maladies à la fois. En outre, 500.000 patients souffrent d’une pathologie interstitielle, maladie respiratoire chronique extrêmement invalidante et évolutive. Enfin, chaque année, 45.000 patients découvrent qu’ils ont un cancer du poumon. « Cela représente par conséquent un nombre de patients très important, sans compter les aidants et les proches, également impactés. Les coûts de santé, l’absentéisme au travail et à l’école explosent. Il s’agit vraiment d’un problème de santé publique de tout premier ordre ».
Depuis deux à trois ans, les décideurs publics en ont pris conscience sous l’impulsion de la Société de Pneumologie de Langue Française ou de la Fédération Française de Pneumologie. Ou encore d’associations telle que Santé Respiratoire France : toutes mettent en avant ce type de problèmes.
Ne pas hésiter à se faire dépister
Un facteur d’invisibilisation des maladies respiratoires provient du fait que les gens se disent : « certes, je tousse, je crache et je suis plus facilement essoufflé. Mais cela est dû à l’âge, à la pollution ou bien au fait que j’ai travaillé dans un milieu empoussiéré ». Or, selon le Dr. Grosbois, cela n’est pas normal du tout !
Il existe donc une forme de banalisation des symptômes par les patients eux-mêmes, tout comme par les médecins généralistes débordés. De ce point de vue, le dépistage est donc crucial. Il s’effectue grâce à un appareil, le « spiromètre », qui mesure la force avec laquelle les personnes soufflent. « Nous avons donc un message à faire passer vis-à-vis des professionnels de santé de premier recours ».
Une fois que la personne est diagnostiquée, elle accède à des traitements médicamenteux qui, souvent inhalés, agissent directement au niveau respiratoire. La recherche a fait émerger de nouvelles molécules très efficaces contre l’asthme ou le cancer des poumons. Malheureusement, aucun nouveau traitement n’est encore venu soulager les patients atteints par la BPCO.
L’activité physique adaptée, essentielle pour entretenir sa santé respiratoire
Pour entretenir sa santé respiratoire, l’OMS conseille, premièrement, de pratiquer une activité physique minimale tous les jours. Il est ainsi intéressant de faire de l’endurance, de bouger en marchant, en faisant du vélo d’extérieur, d’appartement, du step, en montant les escaliers, en bricolant, en jardinant, en faisant le ménage, etc. Idéalement, pendant une trentaine de minutes par jour, même si ce n’est pas consécutif. Le but étant d’incorporer l’activité physique dans sa vie quotidienne le plus naturellement possible.
Deuxièmement, il faut faire un peu de renforcement musculaire (assouplissements, poids et haltères, etc.). Le Dr. Grosbois précise qu’il n’est pas nécessaire de prendre un abonnement dans une salle de gym. « Une simple bouteille d’eau peut suffire ».
Troisièmement, il peut aussi être intéressant de travailler la gestion de ses émotions. En effet, les malades respiratoires chroniques craignent d’être essoufflés à l’effort et de mourir étouffés. Cette peur aggrave leur essoufflement et entraîne un bouleversement émotionnel fort. De ce point de vue, la pratique de la méditation, du yoga, du tai-chi, etc. apaise l’esprit et présente un impact positif sur la santé générale du patient.
Du ‘cure’ au ‘carure’
Pour l’heure, les soins donnés aux patients sont centrés sur les traitements médicamenteux (‘cure’). Cependant, comme le rappelle le Dr. Grosbois, « ce qu’il y a de plus important dans la maladie chronique, c’est le ‘care’ (prendre soin). Il s’agit donc d’accompagner la personne pour prendre en compte la pathologie et ses conséquences pour elle-même et ses aidants. Par conséquent, plutôt que d’opposer le ‘cure’ au ‘care’, je propose de les concilier. Il faudrait dans l’idéal proposer aux patients atteints par une maladie respiratoire chronique un parcours de soins de type ‘carure’ : beaucoup plus de care, avec toujours du cure ».
Selon notre interlocuteur, la démarche ‘carure’ permettrait de rendre les patients plus forts. En même temps, ces derniers gagneraient en autonomie en autogérant leur prise en charge. « Le ‘carure’ représente un nouveau paradigme qu’il faudrait développer », selon le Dr. Grosbois.
Innovations technologiques dans le domaine de la santé respiratoire
Comme l’admet notre interlocuteur, la reprise d’une activité physique peut être soutenue par les outils digitaux et autres applications. La communauté pneumologique pense ainsi qu’il existe une complémentarité entre la santé digitale et les techniques de soins classiques.
Cependant, on imagine assez mal, notamment en ce qui concerne les patients les plus sévères, proposer uniquement du digital. La relation humaine demeure trop importante, de même que l’accompagnement, la gestion des émotions et du stress.
Les solutions mixtes (‘hybrides’) sont donc appelées à se développer. Mais il convient de ne pas opposer le traditionnel, d’une part, à la ‘tech’, d’autre part. « Tout ne se résoudra pas par la e-santé, même si elle est très utile dans le cas des déserts médicaux, par exemple ».
Ainsi, FormAction Santé a déposé un projet dans le cadre de l’article 51* : RR Télédom (téléréadaptation à domicile). « Au lieu d’aller une fois par semaine pendant deux mois faire de la réadaptation à domicile, nous proposons quatre séances en présenciel, de même que quatre séances en distanciel. Notre projet est en cours d’évaluation par le ministère de la santé. Comme vous le constatez, nous mettons nous aussi en place une démarche hybride ».
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Santé Respiratoire France : sensibiliser et rassembler
Au niveau national, le Dr. Grosbois donne un écho supplémentaire à ses travaux en ayant intégré l’association Santé Respiratoire France en tant qu’administrateur. Santé Respiratoire France regroupe 5.000 membres (professionnels de santé et patients). Fondée par Frédéric Le Guillou et dirigée par Odile Sauvaget, elle a de multiples missions :
- alerter pour favoriser la prise en compte des maladies respiratoires.
- innover pour trouver des solutions nouvelles personnalisées.
- rassembler à travers des évènements, comme par exemple Respirez Golf ou RespirAgora.
- informer sur les maladies respiratoires pour en améliorer la prise en charge.
- sensibiliser pour amener les personnes à faire de la prévention et à se faire dépister en cas de doute.
- enfin, accompagner les patients et leurs aidants dans leur parcours de soins.
En 2023, Santé Respiratoire France axe sa communication sur la nécessité de pratiquer une activité physique de manière régulière et adaptée. « En point d’orgue, nous organisons un colloque au Sénat le 17 novembre, durant lequel nombre de spécialistes des maladies respiratoires et de l’activité physique s’exprimeront. Cela permettra ainsi de faire un nouveau bilan de la santé respiratoire dans notre pays et des actions qu’il reste à mener ».
Le Dr. Jean-Marie Grosbois, pneumologue et administrateur de l’association Santé Respiratoire France, souligne la nécessité d’intégrer traitement médicamenteux, activité physique ET réadaptation respiratoire dans le parcours de soins des malades respiratoires chroniques. Photo et vidéo : (c) LaTDI.
* L’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018 encourage le financement par l’assurance maladie d’expérimentations et d’innovations organisationnelles. Cela concerne le parcours de santé, la prise en charge sanitaire, sociale ou médico-sociale ou encore la structuration des soins ambulatoires. Ainsi, une centaine de projets sur toute la France reçoivent des financements au titre de l’article 51.
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