Les nouvelles avancées technologiques poussent les artistes à modifier leur mode de fonctionnement. Et Fred Goudon n’échappe pas à la règle. Pour La Tribune de l’Initiative, il évoque l’Intelligence Artificielle, de même que ses nouveaux projets.
Écrit en collaboration avec A. L.
Accepter l’évolution. Grand séducteur et amoureux de la perfection, Fred Goudon est célèbre pour ses photographies de nus masculins, mettant en valeur la beauté d’un corps de manière sensuelle et artistique. On le connaît pour son fort caractère et ses idées bien tranchées. Mais parfois, les concessions deviennent nécessaires. L’arrivée disruptive de l’intelligence artificielle (IA) a ainsi contraint de nombreux artistes à se renouveler, profondément.
Numérique et intelligence artificielle bouleversent la photo
« Désormais, il suffit de taper quelques mots clés sur un site pour générer une image ressemblant à une photo quasi-parfaite, explique Fred Goudon. Même en tant que photographe professionnel, il m’arrive pourtant de me faire avoir, de penser qu’il s’agit d’une vraie photo alors que c’est une IA. J’en déduis qu’une personne ne travaillant pas spécifiquement dans l’image pourrait plonger directement dans cette duperie ». Aujourd’hui, certaines campagnes de publicité sont uniquement fondées sur l’IA. Elles génèrent des images sur lesquelles un article est porté par des modèles… qui n’existent pas ! « Et la « photo » n’existe pas vraiment non plus finalement, poursuit le photographe. C’est déconcertant ».
Pour lui, les IA bouleversent le métier bien sûr, mais surtout elles en créent un nouveau : celui de créateur digital. « Je me dis qu’une partie de mon travail risque d’en souffrir car la nécessité de verser des droits aux artistes, aux modèles, etc. disparaît du même coup ! Et puis mettre trois mots sur un site, c’est à la portée de tout le monde !, s’exclame-t-il. Mais j’imagine aussi qu’à un moment, dans le cadre de l’exploitation d’une image créée par un outil, l’IA réclamera son dû. C’est peut-être le piège qui, à l’avenir, va se refermer sur tous ces créateurs digitaux».
Fred Goudon : 40 ans de carrière
Cependant, l’IA est loin d’être la première révolution subie par le milieu artistique. « Déjà avec le numérique, tout le monde avait pu se mettre à la photo. Plus besoin d’être un technicien ! Il suffisait de bidouiller sur son ordinateur. La retouche a pris le relais, et ainsi de suite ».
Heureusement, le photographe a la chance d’avoir près de 40 ans de carrière derrière lui. Il dispose ainsi d’un catalogue d’images fortes, connues et reconnues. Et Fred Goudon compte bien se servir de tout ce qu’il a créé pour continuer à vivre de son art, tout en acceptant le changement et l’innovation.
Nouveaux horizons et expositions courantes
Si le monde est chamboulé, celui de Fred Goudon l’est aussi. Ces derniers temps, pour évoluer avec son temps, il s’est lancé de nouveaux défis. « Juste avant Noël dernier, j’ai reçu un message vocal sur mon téléphone. Je n’ai pas répondu car je ne connaissais pas ce numéro, se rappelle le photographe. Il s’agissait en fait de Marie-Paule Pellé, l’ancienne rédactrice en chef de Vogue décoration. Elle a vécu dans le New York des années 1980/90 et côtoyé de nombreuses stars, tout en menant une vie hors du commun. Depuis, elle a créé la galerie Pook rue du Pré aux Clercs, Paris 7. Elle voulait qu’on y fasse une exposition ensemble. Je lui ai amené tous mes calendriers de pompiers. Se laissant guider par son œil très sûr, elle a sélectionné quelques clichés qu’elle a mis dans sa galerie ».
Actuellement, les deux artistes présentent une exposition collective : ‘Les Chemins du désir’. « J’ai tout de suite accepté sa proposition. Nous sommes ainsi partis sur trois nus, dont deux aquatiques qui sont assez beaux, et puis un autre qu’elle a choisi. Pour ma part, j’aime particulièrement les nus aquatiques. Les gouttes d’eau glissant sur la peau nue me font toujours un certain effet. Cela doit me renvoyer à ma propre enfance ».
Du Cannet au Musée des Arts Décoratifs de Paris
Ces deux expositions sont loin d’être une première pour Fred Goudon. «Entre les deux confinements, le travail manquait et j’ai toujours ce besoin d’être créatif. Alors, je me suis penché sur le cas des NFT, raconte le photographe. J’étais un peu perdu et je n’y comprenais rien. Finalement, les photos destinées à être des NFT, que j’ai appelées Mister Pixel, sont pour la plupart devenues des tirages papier numérotés et limités à huit exemplaires. Elles sont présentées sur mon site ».
Une autre exposition signée Fred Goudon est d’ailleurs toujours en cours au Cannet. « Avec des amis d’enfance propriétaires de la Macadam Arts Galerie, nous sommes partis sur une idée d’expo mêlant nus masculins et photos de paysages. Nous restions ouverts jusqu’à l’heure où les gens sortaient des restaurants du village. C’est comme cela que nous avons suscité quelques achats. Je recevais des vivats tous les soirs ! En tant qu’artiste, j’ai réalisé la raison pour laquelle les acteurs aimaient faire du théâtre ». En outre, Fred Goudon a même eu la chance d’avoir une photo exposée au Musée des Arts Décoratifs, dans l’enceinte même du Louvre. « J’étais comme un fou !, s’exclame le photographe. Très peu d’artistes contemporains ont eu cet honneur ».
Nouveaux thèmes, nouveaux modèles
Le monde change et les mentalités aussi, poussant Fred Goudon à faire évoluer son art. Lui qui voue un amour sans limite à la photographie des jeunes hommes virils et sexy a finalement accepté de se tourner vers « des hommes un peu plus murs, autour de la quarantaine ». « Les personnes qui achètent mon calendrier ont entre 25 et 60 ans, explique-t-il. Donc j’ai un peu évolué, car il faut bien s’adapter aux goûts du public ».
Le photographe est allé encore en plus loin en se penchant sur le monde des Ehpad ! Cette année, en partenariat avec les maisons Villa Beausoleil, il a réalisé un nouveau calendrier, bien différent de celui des pompiers. « Dans cet univers dédié au grand âge, je suis allé chercher quelque chose de doux et de beau, en conservant mon principe du noir et blanc. J’ai gardé les rides et la trace du temps, sans faire de retouche. J’ai simplement demandé à une make-up artist de mettre mes modèles en beauté, raconte Fred Goudon. Au début, ils restaient sur leur garde. À la fin, certaines dames ne voulaient plus me lâcher la main. J’ai ressenti leur reconnaissance et leur gratitude, sentiments que je partageais avec eux aussi. C’était un moment magnifique et le résultat s’en ressent ! »
Fred Goudon et les corps non-normés
Le projet s’appelle tout simplement « Les Vieux du Stade », en référence aux « Dieux du Stade » ayant consacré le talent de Fred Goudon. « Je n’étais pas tout à fait d’accord avec ce titre, se souvient-il. Cependant, mon client a fait un édito exceptionnel en expliquant pourquoi le terme de « vieux » n’était pas une insulte. Si bien qu’il « fonctionnait » bien dans le cas de ce calendrier ».
Il y a quelques années, Fred Goudon a eu l’opportunité de faire un autre calendrier, cette fois avec des handicapés sportifs. « Mon idée consistait à dissimuler le handicap. J’allais ainsi chercher une beauté classique chez ces personnes, explique-t-il. Finalement, le projet ne s’est pas concrétisé. Par crainte des critiques que l’on n’aurait pas manqué de m’adresser, sans doute ».
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Le travail expérimental de Fred Goudon
En avant-première, Fred évoque pour nous son travail autour d’un tableau affichant des destinations de rêve au départ d’un aéroport. « Je fais cela aujourd’hui uniquement à la demande. Je le propose au format d’un mètre carré, avec un caisse américaine. Les clients me donnent leurs destinations favorites. Puis je réalise un tirage sur papier velours extra-mat. Cela donne un résultat absolument magnifique, emportant l’adhésion d’un public de rêveurs esthètes ».
Lorsque Fred a l’idée de cette photo, il se trouve coincé à l’aéroport de Minorque, en Espagne. À ses yeux se présente un panneau d’affichage des prochaines destinations, à savoir : Barcelone, Madrid et Valence. Toutes les destinations affichaient un retard. « Finalement, j’ai photographié ce panneau du mieux que je pouvais (définition, etc.). Quelque temps après, je me suis mis à le retravailler. C’est-à-dire que je l’ai remastérisé à mon goût. Je lui ai donné ce carré parfait qu’il n’avait pas au départ. Cela a représenté un travail inouï ! » Par la suite, le photographe reconstitue toutes les lettres de l’alphabet à partir de celles déjà présentes sur le panneau. « Finalement, tout est tiré de la photo originale. Rien à voir avec une création purement artificielle, même si la photo de départ est extrêmement retravaillée… »
Ce style où la géométrie est reine, appliquée de la même façon aux corps et aux paysages sublimés par Fred Goudon font aujourd’hui la patte de ce photographe hors-pair. Jusqu’à présent, ses partis pris esthétiques ont eu l’heur de plaire au public. Dès lors, souhaitons qu’il puisse nous enchanter encore longtemps par la beauté de ses clichés troublants…
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Marie-Paule Pellé, responsable de la galerie Pook située au 15 rue du Pré-aux-Clercs, à Saint-Germain-des-Prés, revient sur sa rencontre avec Fred Goudon. Photo et Vidéo : (c) LaTDI.
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