2020, année zéro pour les entreprises ? Nombre d’entre elles ressentent encore les répercussions de la crise sanitaire. Au-delà du choc initial, toutes leurs certitudes semblent avoir volé en éclats. Il en est ainsi des critères servant à mesurer leur succès, d’abord purement financiers. Désormais, la responsabilité sociale des entreprises ou RSE s’impose comme un impératif incontournable. Émilie Bobin, Sylvain Lambert et Frédéric Petitbon, associés chez PwC, publient en octobre dernier Il n’y a pas d’entreprise qui gagne dans un monde qui perd aux éditions Vuibert. Dans leur livre, ils brossent le portrait de l’entreprise gagnante de demain.
Cela fait longtemps qu’Émilie Bobin et Sylvain Lambert, tous deux associés chez PwC, spécialisés dans le développement durable, ont l’ambition d’écrire un ouvrage pour exprimer leurs convictions. Ils s’en ouvrent à Frédéric Petitbon, lui aussi associé PwC, travaillant plutôt sur le thème de l’innovation managériale et déjà auteur de plusieurs livres.
Finalement, les trois consultants s’associent pour écrire Il n’y a pas d’entreprise qui gagne dans un monde qui perd, centré sur la Responsabilité Sociale des Entreprises ou RSE. Selon Frédéric, « les acteurs du marché n’ont pas encore pris le recul nécessaire par rapport à la RSE. Si bien qu’ils ont du mal à comprendre ce qui est en train de se passer. Il nous semblait donc intéressant de nous pencher sur cette problématique ».
Entre la RSE et son équivalent anglophone l’ESG pour Environmental and Social Governance, les auteurs ont fait leur choix. Selon Émilie, « nous avons choisi d’employer uniquement l’acronyme de RSE. Finalement, RSE et ESG recouvrent la même chose, c’est-à-dire le développement durable appliqué au monde de l’entreprise. Simplement, l’ESG est plutôt utilisé par le monde de la finance. En ce qui nous concerne, nous avons choisi d’utiliser systématiquement l’expression de ‘RSE’ afin de rendre notre propos plus lisible ».
2020 : année zéro pour les entreprises
L’être humain a du mal à envisager ses propres limites. Pourtant, rappelle Sylvain Lambert, celles-ci sont apparues au grand jour par suite de la crise sanitaire et des confinements consécutifs à cette dernière. « Nous nous sommes alors rendu compte à quel point les choses pouvaient basculer rapidement ».
Auparavant, la non-permanence de la croissance et nos vulnérabilités face à l’accès aux ressources n’étaient que des sensations fugaces. De simples moments de panique… En constatant que tout pouvait s’arrêter du jour au lendemain lors de la crise sanitaire, nous avons dû nous rendre à l’évidence : ces sensations fugaces pouvaient très vite devenir des certitudes !
Investisseurs, managers : s’arrêter pour réfléchir
Cette réalisation a impacté le comportement d’un certain nombre d’acteurs financiers, poursuit Émilie Bobin. « Faute de transactions, les investisseurs ont été obligés de s’arrêter pour réfléchir sur le sens de leur métier. Rétrospectivement, aurait-on investi de la même façon durant la période précédente, si on avait réfléchi un tant soit peu au développement durable ? À l’avenir, comment contribuer à réorienter les flux d’investissements vers des activités plus durables ? »
Frédéric Petitbon fait remarquer que ce type d’interrogations a rapidement gagné les entreprises. Elles se sont demandé à quoi elles servaient, rien de moins ! Le Covid a amené l’entreprise à réfléchir sur son rôle et sa manière de travailler. Alors que travailler avec un management participatif et ouvert sur le monde paraissait jusque-là sympathique, « à présent c’est différent ». En effet, la nécessité d’un autre style de management est devenue un impératif catégorique.
La fatalité du déclin ?
Selon Sylvain Lambert, face à des événements aussi impactants que la crise sanitaire, trois réactions sont possibles. Premièrement, on peut ignorer les problèmes et penser que, comme à l’accoutumée, la science va régler tout cela. Deuxièmement, on peut penser que tout est fini. Il ne reste plus qu’à se replier sur soi tout en attendant son propre anéantissement. C’est le sens des thèses avancées par certains déclinistes ++.
Ou alors, troisièmement, on peut avoir une réaction médiane, en faisant face et en agissant. C’est cette voie du milieu que les auteurs ont choisie, résolument. Certes, ils écoutent certains déclinistes modérés mettant en lumière l’évidence de certains ralentissements et autres diminutions à venir. Cependant, comme le souligne Sylvain, « il existe aussi des entreprises ou des activités se préparant à connaître des croissances considérables. Car elles traitent de grandes problématiques auxquelles nous faisons face. D’autres activités, incapables de se transformer, risquent en revanche de connaître un avenir difficile ».
Pour Sylvain, le dynamisme de nombre de startuppers, à l’origine d’une nouvelle offre de biens et services prenant en compte les problématiques sociales et environnementales liées au développement durable, sont un signe de changements à ne surtout pas négliger. « Ces jeunes nous disent : ‘Le modèle classique de l’entreprise ne me convient pas. Je préfère créer ma propre entreprise. C’est-à-dire que je ne conteste pas l’entreprise en tant que telle, mais je crée la mienne. Je vais prendre le sujet du transport, en cherchant à limiter les émissions de CO2, ou bien alors je vais imaginer de nouveaux emballages, etc.’ »
RSE : un management en pleine introspection
Dans les grandes entreprises, les dirigeants s’interrogent également sur leur rôle, comme le fait remarquer Frédéric Petitbon. Ils sont bien conscients qu’ils doivent montrer l’exemple, mais lequel ? Ainsi, nombre d’entre eux se posent les questions suivantes : « Dois-je cesser de me promener en voiture ? Faut-il que j’aie uniquement un vélo, et encore un vélo musculaire ? Dois-je cesser de consommer de la viande ? etc. »
Pour sa part, Frédéric pense que l’essentiel se situe au niveau de la cohérence du message délivré. C’est à cette condition seulement que les dirigeants pourront effectivement embarquer les salariés travaillant sous eux… Ainsi, le message doit se présenter aux yeux des collaborateurs comme un message de bon sens, adapté à leur vie quotidienne et donc commode à mettre en œuvre. Ils doivent bien entendu avoir aussi le sentiment que le discours de la direction est sincère. D’où l’importance pour cette dernière de s’appliquer à elle-même ce qu’elle prêche.
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Six clés pour construire l’entreprise ‘full-RSE’ de demain
Pour survivre et prospérer dans le monde bouleversé qui s’annonce, les auteurs mettent en avant les six clés suivantes :
1/ RSE Inside : adapter ou refonder le modèle économique.
2/ Commencer par la tête.
3/ Engager et mobiliser les équipes.
4/ Ancrer durablement l’esprit full-RSE dans toute l’entreprise.
5/ Construire ensemble les règles du jeu du monde de demain.
6/ Redéfinir la notion de performance.
Selon Émilie Bobin, il convient d’activer ces six clés simultanément. Tout en distinguant la clé n° 5 des autres : « en effet, dans un contexte au sein duquel les entreprises se font concurrence entre elles, il semble qu’il faille à présent plutôt co-construire, ensemble ».
Sylvain Lambert poursuit : « il faut revoir l’ensemble des relations business des entreprises. En effet, il faut arrêter d’appeler un client ‘client’ et un fournisseur ‘fournisseur’. Car, en réalité, ce sont des partenaires. Certes, les entreprises ne peuvent pas vivre sans leurs clients. Mais elles se rendent compte également, surtout avec les tensions actuelles sur les approvisionnements, qu’elles ne peuvent pas vivre sans leurs fournisseurs non plus. Car elles sont dans un écosystème où tout est lié ».
En outre, selon Sylvain, la mesure de ce qu’on appelle ‘performance’ est appelée à évoluer. « Nous ne nous situons plus dans la même grille d’analyse. Dans le monde d’avant, les critères étaient exclusivement financiers. Désormais, d’autres éléments plus qualitatifs viennent s’agréger à la finance ».
Pour une entreprise qui co-construit le monde de demain
Comme le prédit Sylvain Lambert, l’entreprise de demain se mettra « au service » de son écosystème, sans nécessairement chercher à le dominer. C’est le sens des aphorismes choisis par certains grands groupes pour encapsuler leur stratégie. Ainsi, Danone se targue d’ ‘apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre’. Quant à Orange, elle veut ‘donner à chacun et chacune les clés d’un monde numérique responsable’.
Ces entreprises entendent ainsi mettre leur activité au service d’une cause qui les dépasse ou qui dépasse leur intérêt business strictement défini. Selon Sylvain, « ces slogans les projettent dans une sorte d’utilité sociétale et une forme de résilience ».
Au niveau international, Émilie Bobin illustre l’importance de la clé n° 5 en évoquant le Global Compact, c’est-à-dire le Pacte global des Nations Unies. Ce Pacte pose d’emblée le rôle-clé que l’entreprise est destinée à jouer dans le cadre du développement durable. En France, le réseau France – Le Pacte Mondial relaye cette initiative internationale. Il compte aujourd’hui plus de 1.600 entreprises, dont la totalité du CAC40. En outre, son effectif est constitué à plus de 50% de TPE et de PME. Pour Émilie, « cela démontre le besoin que ces entreprises ont d’être ensemble et d’échanger pour co-construire le monde de demain ».
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Frédéric Petitbon, Émilie Bobin et Sylvain Lambert (de gauche à droite), associés au sein du cabinet PwC, se rappellent d’anecdotes qui montrent la façon dont le développement durable et la Responsabilité Sociale des Entreprises s’imposent désormais. Ils ont consigné les réflexions tirées de ces expériences dans leur nouveau livre : Il n’y a pas d’entreprise qui gagne dans un monde qui perd (éditions Vuibert, octobre 2023). Photos : (c) éditions Vuibert. Vidéo : (c) LaTDI.
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