Aujourd’hui, José Gamarra est connu dans le monde entier. On peut retrouver ses tableaux au Musée d’Art Moderne de Paris, à la Bibliothèque de France, etc. Mais aussi au Metropolitan Museum de New York, au musée national de l’Uruguay, en Afrique, etc. Pourtant, lorsqu’on l’interroge, Gamarra n’a jamais vraiment pensé à construire sa réputation. Il a préféré se concentrer sur son art, laissant les choses se faire. C’était sans compter sur le soutien de trois personnages clés : son galeriste Albert Loeb ; un célèbre critique d’art, Philippe Dagen ; et enfin quelques collectionneurs ayant eu le coup de foudre pour son œuvre. Parmi eux, Heber Perdigon est l’auteur d’une monographie sur le peintre.
Pourquoi Gamarra ? Lorsqu’on l’interroge sur son amour immodéré pour l’œuvre du peintre, Heber Perdigon répond qu’il apprécie beaucoup son travail. Du point de vue personnel, il se trouve que le courant passe bien entre les deux hommes. Selon Heber, « Gamarra est toujours très calme et il répond volontiers aux questions. Sa patience à toute épreuve en fait une personne se laissant facilement approcher. J’ai donc beaucoup de respect et d’admiration pour lui ».
Bien entendu, certaines des œuvres du peintre touchent plus particulièrement Heber : cela s’explique par les couleurs, la profondeur, la composition. « Je suis très sensible aux paysages. Dans les œuvres de Gamarra, à ses représentations de paysages magnifiques, il ajoute une lecture profonde du monde. Il illustre aussi certaines des causes qu’il défend ». Parmi ces dernières, l’agression de la nature, la violence des régimes autoritaires en Amérique latine, ou encore la défense des indigènes. Autant de thèmes qui entrent en résonnance avec les propres préoccupations d’Heber. Et qui l’ont poussé à consacrer une monographie à José Gamarra.
Un projet de monographie remontant à 2008
Les liens entre Heber et Gamarra remontent à plusieurs années en arrière. « Nous nous voyions toujours lors de réunions annuelles à l’ambassade d’Uruguay, étant moi-même né dans ce pays. On se parlait peu, car il était toujours occupé. En 2008, il a fait une exposition à l’Espace Julio Gonzalez d’Arcueil. C’est là que nous avons eu l’occasion de discuter plus longuement. Je l’ai également interviewé pour un journal de l’Uruguay dont j’étais le correspondant ».
Heber en profite alors pour demander au peintre si une monographie le concernant est en projet. « Il m’a répondu que ce n’était pas le cas. Je lui ai demandé s’il pouvait être intéressé par un tel projet. Il m’a dit : “Pourquoi pas ?” » Plusieurs années se passent avant que les deux hommes abordent à nouveau le sujet. À l’époque, Gamarra travaille avec Albert Loeb, un galeriste très respecté de la rue des Beaux-Arts.
Ce n’est que lorsque la galerie ferme en 2014 qu’Heber renouvelle à Gamarra sa proposition. « Avec son épouse, nous nous sommes mis d’accord. Pendant trois ans, je me suis rendu dans son atelier d’Arcueil plusieurs fois par semaine pour parler avec lui ».
Recension des œuvres et des textes de critiques d’art
Au départ, Heber se concentre sur le travail de recension des œuvres du peintre en vue de réaliser la monographie. « Je lui présentais des photographies d’œuvres pour qu’il me dise si le tableau était bien de lui ou bien s’il s’agissait d’un faux ». Par la suite, le monographe prend contact avec les musées et certains collectionneurs dont Gamarra lui indique le nom. « Cela m’a beaucoup aidé pour commencer à rassembler les œuvres. Petit à petit, avec un photographe, nous avons commencé à prendre des photos. Gamarra possédait aussi pas mal de ses propres œuvres, avant qu’il ne fasse une donation au musée de l’Uruguay d’une trentaine de ses toiles en 2023, sans compter celles qu’il a vendues entre temps ».
En parallèle, Heber rassemble les textes de spécialistes ayant écrit sur Gamarra. « Un texte de quelqu’un d’important n’a malheureusement pu être inséré dans la monographie, car il ne m’est parvenu qu’après sa sortie en novembre 2021. Lorsque je sortirai un catalogue raisonné de l’œuvre de Gamarra, j’en profiterai bien évidemment pour inclure ce texte de Philippe Dagen ». Critique d’art, professeur d’université, Philippe Dagen est également journaliste au Monde. Il aime énormément l’œuvre de Gamarra et lui a rendu visite à son atelier à plusieurs reprises.
Le rôle clé de Philippe Dagen, grand critique d’art français
Alors que les œuvres de Gamarra sont exposées depuis très longtemps au musée national de l’Uruguay, cette institution demande un jour un texte pour présenter l’œuvre du peintre. Avec l’approbation de Gamarra, Heber sollicite un texte de la part de Philippe Dagen.
Ce dernier lui répond qu’il a bien entendu parler de Gamarra via une exposition collective du Centre Pompidou en 1992 à l’occasion des 500 ans de la découverte de l’Amérique. Il avait donc déjà écrit sur Gamarra, entre autres artistes. Mais cela remontait à très loin en arrière. « Il me dit qu’il connaît assez peu, finalement, l’œuvre de Gamarra. Il accepte d’écrire un texte sur Gamarra à condition d’aimer ce qu’il fait. ‘Je veux bien étudier son catalogue d’œuvres, si vous l’avez’ ». Heber lui transmet alors toute la documentation en sa possession concernant Gamarra.
Finalement, le critique d’art envoie un texte qui ne fait rien moins que dix pages. « J’ai été très agréablement surpris. Je pensais qu’il allait se contenter de n’écrire qu’une ou deux pages ». Malheureusement, le directeur du musée de l’Uruguay a trouvé le texte trop compliqué pour les Uruguayens. Malgré cette déconvenue, Heber promet à Philippe Dagen d’inclure son texte dans son projet de catalogue raisonné de l’œuvre de Gamarra.
Gamarra prend le temps de découvrir ses tableaux
Selon Heber, Gamarra a produit quelque 3.000 œuvres tout au long de sa vie. Sachant qu’il a été extrêmement prolifique durant sa période des signes des années 1950/60. Le temps de réalisation de chaque œuvre était alors relativement court. Par comparaison, la production du peintre durant sa période ‘silvestre’ est plus espacée. Car ce sont des tableaux qui prennent beaucoup plus de temps, jusqu’à six mois.
Comme Gamarra lui-même le reconnaît, « je travaille lentement. Cela m’a d’ailleurs créé des problèmes avec certains galeristes exigeant des rythmes de production fous. Préparer une exposition en un an par exemple, pour moi, ce n’est pas possible ! En effet, pour une exposition, il faut généralement une vingtaine de tableaux au moins. Ce qui est bien au-delà de ce que mon rythme de production permet. Je ne peux pas accélérer. Car, au fur et à mesure que je travaille, je découvre le tableau ».
Le soutien d’Albert Loeb, galeriste réputé et influent
Comme le fait remarquer Heber, « Gamarra ne s’est jamais laissé embarquer dans ce type de relations où les galeristes lui auraient dicté le rythme de sa production. » C’est la raison pour laquelle le peintre a eu la chance de trouver en Albert Loeb, son galeriste attitré de 1982 à 2014, une personne patiente. La première fois que Gamarra expose chez Loeb, ce dernier a dû lui acheter l’intégralité de sa production. Car cela faisait partie des conditions posées par l’artiste. Le galeriste a accepté le marché mais, ce faisant, il a pris un risque. Cependant, ce risque s’est révélé gagnant, car les tableaux de Gamarra se sont toujours très bien vendus. À tel point qu’il ne disposait jamais d’un stock suffisant pour pouvoir lui consacrer une exposition personnelle.
Grâce au soutien de son galeriste, Gamarra a même vu l’une de ses toiles entrer au Metropolitan Museum : Urutaú (1983). En effet, à l’époque, Loeb avait invité dans sa galerie le directeur de ce musée. Le tableau lui avait tellement plu qu’il avait décidé de l’acquérir sur le champ ! « Cela s’est révélé très important pour la carrière de Gamarra », comme le souligne Heber.
À lire également : José Gamarra : l’œuvre d’un peintre vu à travers ses différentes périodes.
Quand la monographie permet de tracer les œuvres de Gamarra
Quand Heber commence à travailler sur la monographie, Gamarra ignore tout du devenir de ses œuvres. Car ce n’est pas le genre de peintre à suivre précisément le devenir de chacune de ses toiles. Grâce à son travail, Heber découvre que l’Institute for Studies on Latin American Art (ISLAA) de New York possède une quinzaine d’œuvres de Gamarra. « Je m’en suis rendu compte tout à fait par hasard. Quelqu’un de l’Institut m’a contacté car il souhaitait acquérir un tableau d’Emma Reyes. Je lui ai demandé s’il connaissait Gamarra. Il m’a dit : ‘Evidemment ! J’ai une quinzaine de ses toiles…’ C’est ainsi que j’ai découvert la présence de ces œuvres à New York. La personne en question m’en a donné les photos pour que je puisse les publier. De cela, Gamarra ne savait rien ! »
Comme Gamarra le reconnaît, il ne s’est que très peu occupé de sa carrière quand il était plus jeune. « De la même façon, je ne me demandais jamais si une de mes expositions allait me rapporter de l’argent. Je laissais les choses se faire… »
Oeuvre présentée en tout début d’article et non légendée : José Gamarra, Le regard de l’Aleijadinho, 2020.
Plus d’information en cliquant ici.
Heber Perdigon relate quelques traits de la personnalité attachante de José Gamarra, peintre qu’il a appris à bien connaître au cours de l’élaboration de la monographie qu’il lui a consacrée, parue en 2021. Photo : (c) Pascal Milhavet. Vidéo : (c) LaTDI.
Auteur :