Lorsqu’il reprend l’entreprise familiale Montys en 2022, Tom Elalouf a un projet industriel en tête. Il s’incarne dans la nouvelle structure qu’il crée alors : Le Cadre. Sentant que l’encadrement produit en grande série, spécialité de Montys depuis les années 1970/80, devient moins porteur, Tom choisit une nouvelle direction pour Le Cadre. S’appuyant sur un outil industriel puissant et un stock infini de matériaux et produits hérité de Montys, il met en œuvre un style de management post-fordiste et fait émerger des savoir-faire nouveaux. Avec Le Cadre, il propose désormais un service d’encadrement artisanal, précis et soigné, d’avantage adapté à la sphère artistique : galeries, musées et collectionneurs.
Un samedi pluvieux de novembre dernier, Tom Elalouf nous reçoit dans les locaux historiques de la société Montys, située à Pantin. Créée en 1965 par Lucien et Andrée Chemla, ses grands-parents, Montys commence par se spécialiser dans l’import-export. Puis les fondateurs s’intéressent plus particulièrement à la distribution d’affiches et de cartes postales.
De fil en aiguille, ils en viennent à la fabrication de cadres. Après avoir déménagé en 1985 à Pantin dans un gigantesque espace de 4.000 m², la société entre dans une période faste où elle produit des cadres à grande échelle. Cette production industrielle est destinée aux grandes surfaces : Leroy Merlin, Castorama, Mammouth, etc. L’entreprise emploie jusqu’à cinquante personnes.
Cependant, dès les années 90, les importations en provenance d’Asie, couplée avec l’apparition de grandes surfaces spécialisées dans la décoration, cassent les prix sur de nombreux produits, dont les cadres. À tel point que l’existence même de la société Montys est menacée. C’était sans compter avec l’arrivée de Tom Elalouf, qui prend les commandes de l’entreprise familiale en 2022.
Le projet industriel de Tom Elalouf
« Quand je suis arrivé, je me suis positionné clairement », nous dit Tom. « J’ai voulu faire perdurer l’entreprise familiale en la relançant. Dans le même temps, j’ai souhaité me fonder sur l’ancien tout en faisant souffler un vent de modernité. C’est la raison qui m’a poussé à créer Le Cadre ».
En s’inspirant des méthodes professionnelles apprises durant ses études ainsi que dans son passé de consultant, Tom introduit des principes managériaux nouveaux. Parmi eux, le principe de Pareto, ou règle des 80/20, selon laquelle 80% des effets induits résultent de 20% des causes. Fort de ces acquis, il s’intéresse à la gestion du stock ainsi qu’à celle des marges.
Au sein du Cadre/Montys, deux logiques complémentaires sont désormais à l’œuvre. D’une part, une logique artisanale, fondée sur le soin et la précision du service. D’autre part, une logique industrielle, fondée sur la vitesse de réalisation des cadres. Cela représente un avantage énorme pour les galeries et les artistes. « Vis-à-vis de ce type de clientèle, nous devons être en mesure de répondre à leurs demandes souvent urgentes ».
Le Cadre : mettre en avant le savoir-faire des équipes
À l’époque où l’entreprise privilégiait le volume, les principes fordistes de la production en grande série s’imposaient. La main-d’œuvre était spécialisée sur une étape unique de la fabrication, à l’exclusion du reste des activités. « La plupart des employés n’aspiraient qu’à rester de bons exécutants. Ils avaient ainsi pris des habitudes qui leur garantissait un certain confort. Ne pas avoir à réfléchir ni à prendre de responsabilité, cela leur convenait parfaitement ».
Aujourd’hui, Tom veut donner toute leur place aux principes du management transversal. Il considère ainsi que chacun a la capacité de faire tout ce que font les autres, même s’il ne s’agit pas de nier les savoir-faire propres à chaque individu. « Je privilégie donc les profils en T, dits ‘transversaux’, bien informés concernant le processus de fabrication dans son ensemble ».
Pour Tom, il s’agit d’encourager l’initiative de chaque salarié. Cela suppose de mettre de côté un fonctionnement historiquement très hiérarchique, avec un décisionnaire et des exécutants. « Pour moi, passer trente ou quarante ans de sa vie en faisant son travail machinalement, comme un exécutant pur, sans aucune stimulation intellectuelle, cela n’est plus acceptable. L’entreprise a tout à gagner à encourager la remontée des suggestions et des informations depuis la base jusqu’au sommet. Autrement, le management passe à côté d’informations précieuses qui sont tout simplement perdues ».
Le Cadre : un fonctionnement décloisonné
Pour décloisonner les postes de travail, Tom donne l’occasion à chacun de s’intéresser à ce que fait son voisin. Aux employés historiques qui reproduisaient les même gestes depuis des années, Tom donne l’opportunité d’apprendre des choses nouvelles. « Qu’ils me disent qu’ils préfèrent en rester à leur mode de fonctionnement historique, je peux l’entendre. Cependant, je voulais les pousser à se montrer un peu curieux et à tester autre chose. Je ne le conteste pas, cela demande un effort, qui n’est pas toujours bien accepté ».
Cette démarche s’inspire du propre parcours de Tom, qui a une formation d’ingénieur généraliste. « Cela m’incite à m’ouvrir aux connaissances des autres. C’est ainsi que j’ai moi-même appris à poncer, à travailler le bois et à faire de l’assemblage ». À une personne qui, historiquement, ne s’occupait que de découper le verre ou le plexi, il propose désormais de manipuler une assembleuse ou une ponceuse. Si cela lui plaît, il lui offre la possibilité de faire des choses variées de façon autonome. Cela donne une agilité à l’entreprise puisque les salariés deviennent multitâches. « Depuis, d’autres collaborateurs ont manifesté la volonté de rejoindre le mouvement. Il y a donc eu un effet d’entraînement ».
Le patrimoine industriel de Montys au service de l’encadrement
L’aspect industriel des locaux de Montys s’explique par le fait qu’ils abritaient un espace de fabrication pour Motobécane avant 1985. Montys a racheté une partie de la parcelle à Motobécane, si bien que l’on retrouve encore certains éléments de la chaîne de fabrication de deux-roues.
En reprenant en 2022 Montys, dont l’activité allait de l’import-export à l’encadrement, Tom entreprend de distinguer l’activité de grossiste et de négociant, qui reste sous la bannière Montys, d’une part. D’autre part, il regroupe l’activité d’encadrement pur au sein d’une nouvelle structure qu’il baptise Le Cadre. « Cette structure, je la développe en vue d’y concentrer un savoir-faire particulier ».
C’est dans cet esprit qu’il refait à neuf le show room en le dédiant au Cadre. « Nous y présentons une sélection de références de baguettes ou de produits. Sur ce mur, par exemple, nous montrons 300 références que nous avons en stock, soit environ 15% de notre offre totale ».
Un outil industriel historique
Concernant la partie des locaux dédiée à Montys, Tom s’enorgueillit de posséder un outil industriel complet remontant aux années 70, et même aux années 50 pour certaines machines. « Les espaces sont ainsi restés dans leurs jus, bruts, peu aménagés. Néanmoins, je trouve que cette partie a un charme très fort issu de son côté ancien, authentique. Cela, je tiens vraiment à le garder. D’où le contraste entre le show room d’un côté, et les espaces de stockage et de fabrication, d’un autre côté ».
Tom nous montre ainsi un dispositif de distribution d’air comprimé dans l’atelier d’encadrement et d’assemblage des cadres. « Cela nous permet, grâce à un système de soufflettes servant à enlever la poussière, de nettoyer les œuvres et les cadres de manière très efficace et très simple. Ici, des agrafeuses permettent d’assembler les baguettes entre elles. Cela vaut par exemple pour les cadres doubles, voire triples ». Ailleurs, Tom nous montre une machine à passe partout pour travailler les biseaux. Il s’agit d’un bras mécanisé muni d’une lame pour découper le carton en fonction de dimensions pré-programmées, selon les principes de la PAO.
Cet appareillage est un héritage de la période industrielle précédente, et cela garantit la performance et la vitesse d’exécution des cadres. Ainsi, quand de petits encadreurs de quartier fabriquent deux ou trois cadres par jour seulement, Le Cadre est en mesure d’en fabriquer une centaine.
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Un stock en forme de caverne d’Ali Baba
En dehors des espaces de travail et de fabrication, l’entreprise de Tom dispose en outre d’immenses zones de stockage. Quand on s’y promène, on a le sentiment de se trouver au sein d’une véritable caverne d’Ali Baba. De chaque côté des allées, se déploient des rayonnages sur lesquels sont disposés toutes sortes d’articles :
- Baguettes d’encadrement, de tous les styles et de toutes les époques.
- Petits cadres photos en alu. « Si demain nous les mettons chez Leroy-Merlin, cela se vend comme des petits pains », fait remarquer Tom.
- Passe-partout en quantités industrielles.
- Châssis à clés.
- Nœuds marins, comprenant des semi-coques de bateaux collées sur le fond du cadre, produit vedette de Montys durant les années 1980.
- Miroirs biseautés.
- Ou encore des reproductions sur papier gaufré sorties dans les années 2000, sur lesquelles l’entreprise s’est tout de suite positionnée, avec un grand succès.
En s’appuyant sur ce stock infini, Tom nous parlera dans un deuxième article de la façon dont il parvient à réorienter l’activité de Montys, grâce à Le Cadre, en répondant à la demande spécifique du monde de l’art.
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Tom Elalouf, dirigeant-fondateur de la structure Le Cadre, revient sur l’histoire de la société familiale Montys, spécialisée dans le commerce de matériaux destinés aux encadreurs et dans la fabrication de cadres de série. Avec Le Cadre, il s’attaque au marché de de l’art. Photo et Vidéo : (c) LaTDI.
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