La population française vieillit, y compris au niveau musculaire ! Le 25 mars dernier, lors d’une conférence de médiation scientifique à l’attention du grand public organisée par l’association prOlific, le Dr. France Pietri-Rouxel, chercheuse au CNRS sur le muscle, nous a dévoilé l’avancée de ses travaux concernant ce véritable enjeu de santé publique. Ainsi, peut-on lutter contre la diminution inexorable de sa masse musculaire, et partant de sa force ?
Titulaire d’une thèse en pharmacologie moléculaire, le Dr. France Pietri-Rouxel devient chercheur au CNRS, puis directrice de recherche il y a cinq ans. Aujourd’hui, elle travaille à la Faculté de Médecine-Sorbonne Université dans une unité INSERM en partenariat avec l’Institut de Myologie. Elle y encadre une équipe de chercheurs s’intéressant au maintien de la masse musculaire. Elle mène notamment des travaux sur la myopathie de Duchenne ainsi que sur le vieillissement du muscle. En outre, elle préside l’association prOlific venant en soutien aux chercheurs. PrOlific informe également le grand public par le biais de conférences de haut niveau scientifique. Tout en demeurant facilement abordables pour le grand public !
Selon le Dr. France Pietri-Rouxel, « si on veut se lancer dans la recherche, il est indispensable d’aimer apprendre et découvrir. Cela fait partie intégrante du métier. Une de nos tâches principales consiste à intégrer toutes les données fournies par la communauté scientifique internationale, afin de faire avancer nos propres projets ». Le Dr. Pietri-Rouxel a commencé sa carrière en s’intéressant aux études en pharmacologie moléculaire. Elle voulait ainsi comprendre les effets induits par certaines drogues sur le fonctionnement des cellules. Tout cela en vue de développer de nouveaux médicaments. Ce faisant, elle s’oriente vers les myopathies et autres pathologies du muscle. Son but ? Lutter contre le vieillissement accéléré de la masse musculaire !
À quoi servent les muscles ?
Le Dr. France Pietri-Rouxel rappelle que les muscles représentent 40% de la masse corporelle, ce qui est énorme ! Il existe ainsi plus de 600 muscles répartis en trois grandes catégories. Premièrement, les muscles squelettiques, rattachés au squelette, assurent les fonctions motrices du corps. Deuxièmement, le cœur est un muscle très particulier et très important car il conditionne la vie, rien moins que cela ! Troisièmement, les muscles lisses entourant les vaisseaux sanguins, la vessie ou encore l’estomac permettent à l’ensemble de ces organes de se contracter.
Les muscles squelettiques obéissent à la volonté. Ce sont des muscles volontaires. Par exemple, nous nous en servons lorsque nous tendons la main pour pouvoir saisir et serrer un objet. Ou, tout simplement, lorsque nous voulons nous déplacer en marchant. Parmi les muscles volontaires, le diaphragme est un muscle très important car il permet la respiration. En revanche, le cœur est un muscle dont la contraction est involontaire. C’est-à-dire qu’on ne décide pas de faire battre son cœur !
Muscle : diminution inexorable au cours de la vie
Au cours de la vie, la masse musculaire augmente jusqu’à l’âge de vingt ans. À partir de 30 ans se produit une perte progressive de la masse musculaire, à raison d’un à deux pourcents par an. Bien entendu, il est possible de contrecarrer ce phénomène naturel en faisant de l’exercice. Cependant, à partir de l’âge de 60 ans, la diminution de la masse musculaire s’accélère, se traduisant par une perte de force.
En 2016, la sarcopénie est déclarée maladie par l’Organisation Mondiale de la Santé. Elle se définit par une perte excessive de la masse, accompagnée d’une détérioration de la fonction et de la qualité du muscle. Cette maladie est liée à une moindre efficacité de l’assimilation des protéines. Elle affecte notamment les muscles squelettiques assurant les fonctions motrices. Ainsi, le risque de chute s’accroît. De plus, une masse musculaire atrophiée se traduit par une augmentation des temps d’hospitalisation en cas de fracture, etc. Le risque de perte d’autonomie s’accroît par conséquent. La sarcopénie représente ainsi un enjeu majeur de santé publique.
La sarcopénie, maladie incurable du muscle ?
En l’état actuel de la recherche, il n’existe aucun traitement efficace contre la sarcopénie. Ni les compléments alimentaires surprotéinés, ni l’activité physique ne sont en mesure de compenser la perte de masse et de fonction musculaires. La sarcopénie peut conduire à la perte de 30% de la masse musculaire à 80 ans par comparaison avec celle que l’on avait à 30 ans.
Pour l’instant, on ne connaît pas les origines de la sarcopénie. Il est donc impossible d’en prévoir l’apparition. En revanche, il est possible de la diagnostiquer à l’aide de critères de mesure de la masse, de la force et de la qualité du muscle. Selon les études, cette pathologie touche entre 5 et 25% de la population âgée de 60 à 70 ans (30 à 50 % des plus de 80 ans).
Le GDF5, protéine contre l’atrophie du muscle
Face à l’enjeu de santé publique représenté par la sarcopénie, l’équipe du Dr. France Pietri-Rouxel s’intéresse aux mécanismes communs affectant les personnes vieillissantes ou alors atteintes de myopathies (maladies génétiques du muscle). Ces mécanismes font intervenir une protéine, le GDF5, habituellement sécrétée par le corps à très bas niveau. En revanche, quand nous sommes immobilisés et que nous perdons beaucoup de masse musculaire, le GDF5 est exprimé beaucoup plus fortement, car il permet de contrecarrer cette perte excessive.
Afin de tester cette hypothèse, l’équipe du Dr. France Pietri-Rouxel a eu recours à des souris âgées. Leur vieillissement avait entraîné chez elles une perte de masse musculaire, de force et de fonction, notamment au niveau de leurs pattes. « Nous avons donc fait une preuve de concept en venant surexprimer le GDF5 pour en mesurer les effets. Et nous en avons constaté les effets bénéfiques ».
Grâce au GDF5, la force des souris s’accroît !
Le Dr. France Pietri-Rouxel poursuit : « nous avons ainsi réalisé une synthèse chimique de cette protéine GDF5, un peu comme on le fait avec l’insuline. Puis nous l’avons administrée, de façon chronique, pendant quatre mois, à des souris âgées. Nous avons alors observé un rajeunissement de leurs muscles ».
De plus, l’étude de l’expression des gènes dans les muscles de souris âgées traités avec le GDF5 présente un « rajeunissement », avec un profil comparable à celui trouvé dans les muscles de souris jeunes et une diminution notable des marqueurs d’inflammation.
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Les étapes à franchir avant l’homologation du traitement
Comme le souligne le Dr. France Pietri-Rouxel, plusieurs étapes restent à franchir avant de pouvoir homologuer le traitement des humains par le GDF5. « Pour l’instant, nous en sommes aux étapes de développement pré-clinique. C’est-à-dire que nous essayons de déterminer le dosage correct pouvant être administré aux sujets afin que ces derniers conservent leur force. Nous en sommes également au stade où nous étudions les voies d’administration. Peut-on donner ce médicament en sous-cutané, en intra-musculaire, ou en systémique dans la circulation ? »
Ce n’est qu’au terme de ces études pré-cliniques que l’équipe du Dr. France Pietri-Rouxel pourra se lancer dans les premiers essais cliniques chez l’Homme, avec une perspective à 2026. « Cependant, les essais cliniques se décomposent en trois phases. Ainsi, notre expérience peut s’arrêter à tout moment si nous découvrons des effets secondaires trop importants, par exemple ».
Outre le soutien de l’État, celui des laboratoires pharmaceutiques
Pour mener à bien cet important programme de recherche, l’équipe du Dr. France Pietri-Rouxel bénéficie du soutien de la puissance publique, bien entendu. Mais elle a également été lauréate de la fondation Merck MSDAvenir en 2023. MSD a ainsi financé l’étude des doses et autres voies d’administration.
Enfin, la preuve de concept suivie par un traitement chronique de quatre mois sur des souris vieillissantes a fait l’objet de trois articles scientifiques publiés dans des revues internationales de premier plan en 2019, 2023 puis 2023.
Références :
* Massiré Traoré , Christel Gentil , Chiara Benedetto , Jean-Yves Hogrel , Pierre De la Grange , Bruno Cadot , Sofia Benkhelifa-Ziyyat , Laura Julien , Mégane Lemaitre , Arnaud Ferry , France Piétri-Rouxel, Sestina Falcone. An embryonic CaVβ1 isoform promotes muscle mass maintenance via GDF5 signaling in adult mouse, Science Translational Medicine, 2019 Nov 6.
* France Piétri-Rouxel, Sestina Falcone et Massiré Traoré. GDF5 — Un candidat thérapeutique dans la lutte contre la sarcopénie, Med Sci (Paris) 2023 ; 39 (Hors série n° 1) : 47–53.
* Traoré Massiré, Noviello Chiara, Vergnol Amélie, Gentil Christel, Halliez Marius, Saillard Lucile, Gelin Maxime, Forand Anne, Lemaitre Mégane, Guesmia Zoheir, Cadot Bruno, Caldas Eriky, Marty Benjamin, Mougenot Nathalie, Messéant Julien, Strochlic Laure, Sadoine Jeremy, Slimani Lofti, Jolly Ariane, De la Grange Pierre, Hogrel Jean-Yves, Pietri-Rouxel France and Falcone Sestina, GDF5 as a rejuvenating treatment for age-related neuromuscular failure, Brain, 8/4/2024.
Le Dr. France Pietri-Rouxel (Présidente de l’association prOlific) explique comment, en travaillant sur les pathologies musculaires comme la sarcopénie, elle et son équipe ont trouvé le moyen de retarder la vieillissement musculaire grâce à une protéine, le GDF5. Photo : (c) prOlific. Vidéo : (c) LaTDI. Musique : (c) ES_Weathered Souls – American Legion.
Venez assister à la prochaine conférence grand public sur l’autisme organisée par l’association prOlific (entrée libre) ! Par leurs passionnants efforts de médiation scientifique, le Dr. France Pietri-Rouxel (Présidente) et le Dr. Clara Nahmias (Fondatrice) mettent à la portée de tous les dernières avancées de la recherche scientifique de haut niveau.
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