Leni RIEFENSTAHL documentaire Andres VEIEL

Leni RIEFENSTAHL : l’atout séduction de HITLER (Andres VEIEL)

Leni RIEFENSTAHL est une personnalité bien connue des Français. Le Triomphe de la volonté en 1935, Les Dieux du stade en 1938 : elle signe ces films de propagande parmi les plus aboutis jamais réalisés. Dans l’Allemagne d’alors, il s’agissait de glorifier la politique d’HITLER. À l’heure où ce type d’idées a de nouveau le vent en poupe, Andres VEIEL, le réalisateur du documentaire Leni Riefenstahl, la lumière et les ombres sorti en France le 27 novembre dernier, éduque notre regard et s’adresse à notre conscience politique pour nous éviter de tomber à nouveau dans le piège du fascisme.

Parmi les 700 boîtes d’archives de Leni RIEFENSTAHL, le cinéaste Andres VEIEL allait-il découvrir des éléments justifiant de faire encore un film sur la diva du nazisme ? Puis le réalisateur tombe assez rapidement sur son journal, ses films privés ou ses notes de travail. Il découvre aussi plusieurs versions de ses mémoires, bien différentes du texte finalement publié. Pourquoi autant de changements successifs dans sa narration ?

Leni RIEFENSTAHL, d’abord propagandiste d’elle-même

Par exemple, que s’est-il passé en 1939 à Konskie (Pologne), où elle est envoyée par HITLER pour couvrir l’invasion de ce pays par l’Allemagne ? Jusqu’en 1952, elle maintient qu’elle n’a été qu’un simple témoin oculaire de certaines exactions perpétrées par la Wehrmacht. Au cours de ces évènements, plusieurs dizaines de Juifs polonais perdent la vie. Après 1952, elle change son récit en disant qu’elle n’a rien vu : ni morts, ni cadavres. À « dire vrai », elle n’était même pas sur place.

Cependant, le témoignage d’un ancien adjudant présent sur le théâtre des faits refait surface en 1952. Andres VEIEL met la main dessus au début des années 2020 alors qu’il examine les archives de Madame RIEFENSTAHL. Or, ce témoignage suggère que la cinéaste serait en partie responsable du massacre de 1939. Car elle a exigé que les Juifs soient mis hors du champ de sa caméra. Cette injonction a été le catalyseur du bain de sang qui s’en est ensuivi. Certes, elle n’avait pas voulu que les choses se passent ainsi. Mais…

« Nous avons donc trois narrations différentes », note Andres VEIEL. « Ces variations dans les événements de sa vie ont déclenché en moi la nécessité de passer au crible tous ses cartons d’archives. Je voulais examiner la façon dont elle s’y était prise pour dissimuler certains événements de sa vie. Et je souhaitais en découvrir les raisons ».

Garder l’authenticité des archives de Leni RIEFENSTAHL

Lors de la restitution au spectateur du fruit de ses investigations, Andres VEIEL se rend compte qu’il n’y a pas lieu d’ajouter de commentaires. Car Madame RIEFENSTAHL fait déjà cela très bien elle-même… Par exemple, à un moment donné, elle soutient que Le Triomphe de la volonté n’est pas un film politique. Car il ne contient aucun propos raciste. « On s’est contenté de juxtaposer à cette déclaration un extrait du film. On y voit Julius STREICHER, directeur de la publication radicalement antisémite Der Stürmer, dire la chose suivante. ‘Un peuple ne se souciant pas de la pureté de sa race périra et finira par s’éteindre’ ».

Dans un souci d’authenticité de son documentaire, Andres VEIEL rejette tout recours à l’IA. Il reconnaît pourtant qu’il s’agit là d’un procédé permettant de montrer facilement les choses que l’on souhaite faire voir au spectateur. « Nous aurions pu créer une image mettant côte à côte le chef de la SS, HIMMLER, et RIEFENSTAHL. Cela aurait étayé le propos de notre film. Mais nous n’avons retrouvé aucune photo attestant de leur rencontre. Or, quand on fait un film sur quelqu’un ayant passé sa vie à manipuler des images, mieux vaut ne pas déformer la réalité soi-même ».

La méthode old school d’Andres VEIEL

Pour montrer à l’écran les nombreuses bandes audio contenues dans les archives de Leni RIEFENSTAHL, Andres VEIEL invente un nouveau langage cinématographique. Il choisit d’utiliser des images de films où l’on voit Leni RIEFENSTAHL manipuler des bandes de pellicule pendant qu’elle est en plein montage. « Cela fait référence à la manière ancienne de monter un film, assis à une table de montage. Nous avons donc filmé des extraits de ses films alors qu’ils passaient sur la table de montage. Ensuite, nous avons utilisé certains séquences où on la voyait se lever de la table pour aller accrocher des bandes de pellicule. Donc, d’un point de vue esthétique, nous nous sommes calés sur sa façon à elle de monter ses films ».

Ce procédé permet de souligner le fait qu’elle était une très bonne monteuse, doublée d’une excellente réalisatrice. En revanche, elle était une autrice médiocre. « C’est manifeste pour son film Tiefland, qu’elle a écrit elle-même. Et j’ai lu les scénarios qu’elle a écrits après la guerre : ils sont tous très mauvais, remplis de clichés ! »

Leni RIEFENSTAHL, un destin allemand

En examinant les archives de Madame RIEFENSTAHL, Andres VEIEL constate que son histoire personnelle se superpose avec celle de l’Allemagne. Ainsi, elle est tout à fait représentative de la classe moyenne allemande de son époque. Elle reçoit une éducation typiquement prussienne. Or, comme le rappelle Andres VEIEL, il ne faut pas oublier que, pendant des siècles, la Prusse s’est retrouvée cernée par de puissants ennemis. Parmi eux : la Russie, l’Autriche ou la France.

Les principes éducatifs de l’époque s’en ressentent et incitent les enfants et les adolescents, plus particulièrement les hommes, à se montrer durs et forts. Ils doivent se préparer à devenir de valeureux soldats ! Dès lors, il est hors de question de faire preuve de la moindre sensibilité. Ni même de se laisser attendrir par les choses artistiques ! C’est dans un tel contexte que l’idéologie national-socialiste reprend à son compte le culte de la force et de la suprématie. Aux faibles, aux étrangers et aux inadaptés, à tous ceux qui peinent à trouver leur place dans la société, les nazis ne réservent que mépris et promesse d’annihilation.

Leni RIEFENSTAHL archives documentaire Andres VEIEL
Riefenstahl et Hitler. © Bayerische Staatsbibliothek Bildarchiv.

Leni RIEFENSTAHL acquise aux idées de Mein Kampf

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, il est plus nécessaire que jamais de se montrer fort pour Leni RIEFENSTAHL. Sa rencontre avec plusieurs anciens combattants sur les tournages de films de montagne dont elle est la vedette semble lui donner raison. Parmi eux, Ernst UDET, ancien pilote de chasse s’étant distingué au combat, tient le discours suivant. « Nous sommes renés de nos cendres après la Première Guerre mondiale. Les plus faibles d’entre nous ne s’en sont pas sortis. Les plus forts, après avoir été confrontés à la mort et à la destruction, se sont encore renforcés. Et après la guerre, nous nous sommes tous rassemblés autour d’Adolf HITLER. Car il était le seul capable de nous comprendre… »

Les idées d’HITLER prennent racine d’autant plus facilement que le fascisme et l’antisémitisme sont théorisés dès le 19e siècle. Plusieurs auteurs européens développent ce corpus d’idées, comme le Britannique Herbert SPENCER (« la survie du plus apte »). On peut encore citer les Français Arthur de GOBINEAU (« l’inégalité des races ») et Paul BROCA (anthropologue racialiste). Sans oublier les Allemands Otto AMMON (« sélection naturelle parmi les êtres humains »), Wilhelm MARR (journaliste ayant contribué à populariser le terme « antisémite »), ou encore Hans F. K. GÜNTHER (« La Raciologie du peuple allemand », 1922).

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Leni RIEFENSTAHL : de belles images à recontextualiser

Selon Andres VEIEL, c’est parce que Leni RIEFENSTAHL est acquise aux idées racistes et eugénistes d’HITLER qu’elle traitera Willy ZIELKE si mal. Ce dernier est pourtant l’un de ses plus proches collaborateurs ! Il est ainsi à l’origine de l’incroyable scène d’ouverture des Dieux du stade… Lors de cette séquence, des statues antiques semblent soudainement prendre vie. Selon VEIEL, « RIEFENSTAHL ignore délibérément le sort réservé à ZIELKE. Or , ce dernier subit une castration physique en 1937 en raison de problèmes psychologiques ayant nécessité son internement. Conformément aux lois eugénistes accompagnant le projet nazi, qu’elle soutenait apparemment ».

Dès lors, est-il possible de se laisser séduire par la beauté des images de Leni RIEFENSTAHL ? Pour Andres VEIEL, il convient de les recontextualiser. Car il faut être pleinement conscient qu’elles ont servi à mettre en scène un pouvoir promouvant la suprématie et le mépris de l’Autre, de l’Étranger et de celui qui ne s’intègre pas à la communauté, quel que soit le sens que l’on donne à ce terme.

« Pensez à Donald Trump affirmant que les migrants gâchent le sang américain. Ce cadrage fasciste fait donc désormais partie de notre quotidien ! Il n’existe plus de remords ni de retenue. Et les limites de la honte semblent à chaque fois repoussées un peu plus loin ».

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Andres VEIEL revient sur ce qui l’a incité à se plonger dans les 700 boîtes d’archives laissées par Leni RIEFENSTAHL, la cinéaste bien connue du Troisième Reich. Il rappelle que derrière la séduction exercée par les images de cette dernière, se cache une idéologie suprémaciste et dangereuse. Photo : (c) Andres VEIEL. Vidéo : (c) LaTDI. Musique : (c) ES_Eye for Detail – Jay Varton.

affiche film documentaire Leni Riefenstahl
(c) ARP Sélection.

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