Après les Femmes photographes de guerre (2022), la guerre des hommes du général Leclerc dans le désert (2023), ou encore la Libération de Paris vue à travers le film Paris brûle-t-il ? (2024), Sylvie ZAIDMAN, Directrice du Musée de la Libération de Paris – Musée du général LECLERC – Musée Jean MOULIN nous emmène cette fois sur les traces de Daniel CORDIER. Pour La Tribune de l’Initiative, elle revient sur le destin fascinant de cet homme aux mille vies… Ainsi, comment Daniel CORDIER, d’abord acquis aux idées de l’Action française et indifférent aux choses artistiques, se transforme-t-il en ardent défenseur de la démocratie, amoureux des Beaux-Arts ?
C’est en 2019 que le Musée de la Libération de Paris – Musée du général LECLERC – Musée Jean MOULIN ouvre ses portes. L’historienne et conservatrice du patrimoine Sylvie ZAIDMAN supervise le déménagement et le transfert des collections du musée se trouvant jusque-là sur la dalle Montparnasse, au-dessus de la gare. « Nous les avons transférées dans un endroit beaucoup plus ouvert, place Denfert-Rochereau ».
Avec son exposition inaugurée en mars dernier sur Daniel CORDIER, le musée explore les métamorphoses d’un homme. « Nous avons mis en lumière le parcours de ce jeune homme dont le destin apparemment tout tracé est complètement bouleversé par l’irruption de la Deuxième guerre mondiale. Il finit par prendre une direction complètement opposée à celle que son milieu lui avait assignée ».
Un adolescent d’autrefois, séduit par l’Action française
Durant sa prime jeunesse, celui qui ne s’appelle pas encore Daniel CORDIER, mais Daniel BOUYJOU, suit les traces de son beau-père. Profondément patriote, il est séduit par les idées de l’Action française et son idéologie d’extrême droite, antisémite, extrêmement nationaliste et monarchiste.
Le 17 juin 1940, le maréchal Pétain proclame l’armistice. Daniel CORDIER, 19 ans à l’époque, est profondément choqué par cette « trahison ». Pour lui, il aurait fallu se battre jusqu’au bout ! Il décide alors de partir et finit par débarquer à Londres…
Au sein de la Légion de Gaulle
Désireux de se battre, il s’engage dans la Légion de Gaulle et reçoit une formation militaire. « Il apprend à se battre, parce que son désir, c’est de récupérer la France, la Patrie, les armes à la main ».
Ses compagnons commencent alors à être envoyés au front, sauf lui. Il intègre une nouvelle formation pour devenir officier. Et c’est un peu par frustration qu’il demande à rejoindre les services secrets de la France Libre, tout juste formés. La Légion de Gaulle – c’est-à-dire la France Libre – n’a alors pas beaucoup de moyens. Cependant, il reçoit une formation extrêmement poussée avec l’appui des forces britanniques. L’exposition montre certains cahiers contenant ses devoirs…
Encore ultranationaliste et très engagé à l’extrême droite, il est persuadé (bien à tort) que de Gaulle est monarchiste et que seul un régime autoritaire pourra restaurer la grandeur de la France.
La rencontre avec « Rex »
C’est en juillet 1942 qu’il est enfin parachuté au-dessus de Montluçon avec pour mission de devenir opérateur radio pour le Bureau d’Information et de Presse, l’agence de presse au service de la France libre dirigée par Georges BIDAULT. Cependant, rapidement, il est présenté à un certain Rex, le délégué général en France du général de Gaulle, comme tous les agents arrivant de Londres. Cependant, « Rex » décide de garder le jeune CORDIER à son service en tant que secrétaire. Or, il s’avère que Rex n’est autre que Jean MOULIN !
La période allant de l’été 42 à l’été 43 va marquer à tout jamais le destin de Daniel CORDIER. Il est pour la première fois exposé à l’art grâce à Jean MOULIN. Ce dernier est certes préfet, mais il a également un goût prononcé pour l’art. Caricaturiste à la base, il pratique le dessin, la gravure. Il dessine aussi au pastel, il crayonne, etc. Mais, surtout, il est féru d’histoire de l’art !
Et il dit à Daniel CORDIER : « Vous êtes mon secrétaire, vous travaillez pour moi. Même si la zone sud n’est pas encore occupée [elle le sera à partir de novembre 1942], c’est très, très risqué. Mais voilà, nous travaillons ensemble pour la Patrie. Si jamais nous nous retrouvons dans un endroit où des oreilles indiscrètes risquent de nous entendre, je vous parlerai d’art ».

Jean MOULIN, mentor de Daniel CORDIER
Donc Jean MOULIN parle d’art à Daniel CORDIER, lors de discussions à bâtons rompus. Il lui offre aussi un ouvrage de référence : L’Histoire de l’art contemporain de Christian ZERVOS (1938). Daniel CORDIER y jette un œil distrait. Cependant, il est touché par ce cadeau que lui fait son patron.
Lorsque Jean MOULIN est arrêté en juin 1943, Daniel CORDIER continue à travailler pour la délégation. Mais il devient recherché à son tour. Il s’enfuit donc en Espagne. C’est là que les paroles que lui a dites Jean MOULIN lui reviennent en mémoire : « Un jour, nous irons ensemble au musée du Prado. Car c’est un lieu qu’il convient vraiment de connaître ». C’est donc alors qu’il est en cavale et qu’il se retrouve à Madrid que Daniel CORDIER visite le musée du Prado pour la première fois. Et là, face aux tableaux du Greco, de Francisco de ZURBARAN, sans oublier VELAZQUEZ, il connaît une épiphanie. Et c’est de cette visite que naît sa relation magique avec l’art…
Après la guerre, Daniel CORDIER collectionneur et galeriste
Pendant l’Occupation, le père de Daniel CORDIER décède. À la fin de la guerre, il utilise son héritage pour acheter des œuvres pour lesquelles il éprouve un coup de cœur. Il commence par une petite œuvre d’Henri MICHAUX. Pourtant, il ne sait même pas qui est MICHAUX à l’époque. Mais la vraie première œuvre qu’il achète en tant que collectionneur est une toile de Jean DEWASNE, maître de l’abstraction, « que nous montrons d’ailleurs dans l’exposition ».
Par la suite, Daniel CORDIER fait la connaissance de Nicolas de STAËL, jeune artiste encore inconnu à l’époque. Daniel CORDIER lui achète jusqu’à quinze tableaux ! Au milieu des années 50, il se laisse persuader par ses amis qui lui disent « Tu as un goût prononcé pour l’art, tu as vraiment de l’intuition, il faut que tu ouvres ta propre galerie ». Grâce à un prêt de Guy de BROGLIE et à l’aide de la femme de ce dernier qui lui aménage un petit local, Daniel CORDIER devient galeriste.
Daniel CORDIER rattrapé par son passé de Compagnon de la Libération
C’est en 1977 que son passé de Compagnon de la Libération le rattrape. Invité aux Dossiers de l’Écran, célèbre émission politique de l’époque, il est pris à parti par l’un des chefs de la Résistance, Henri FRENAY. Ce dernier attaque la mémoire de Jean MOULIN. Daniel CORDIER s’aperçoit alors qu’il n’a aucun argument pour le défendre face à ses détracteurs.
À partir de ce moment-là, il n’aura de cesse de restaurer la mémoire de Jean MOULIN et de tous les hommes qui lui ont fait confiance. « À ces hommes-là, il doit la République, il leur doit d’être devenu un démocrate. Il leur doit aussi de s’être débarrassé de son antisémitisme et de toutes les barrières mentales de sa jeunesse ».
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Daniel CORDIER, mémorialiste de Jean MOULIN et écrivain
Il se lance dans un travail colossal : écrire la biographie de Jean MOULIN, somme considérable qu’il consacre à la mémoire de son ancien mentor. Puis, une fois qu’il estime avoir fait son devoir, il se consacre à ses propres mémoires. Le public le connaît ainsi pour Alias Caracalla, adapté pour la télévision avec un certain succès.
Comme le remarque Sylvie ZAIDMAN, « voilà le biographe de Jean MOULIN devenu son propre biographe, un écrivain, en fait ». Quant à son homosexualité, ce n’est pas un sujet qu’il aborde dans ses ouvrages, mis à part Les Feux de Saint-Elme. « C’était quelque chose qui se cachait. Je vous rappelle qu’en France, l’homosexualité demeure pénalisée jusqu’en 1981. Dans le monde ancien qui est le sien, la société est traversée par tout un tas de tabous rendant les gens honteux vis-à-vis d’eux-mêmes. Cependant, Daniel CORDIER réussit à se libérer aussi de cette partie de son histoire personnelle ! »
Jusqu’au 13 juillet 2005 : Exposition Daniel Cordier (1920-2020) – L’espion amateur d’art.
Musée de la Libération de Paris – Musée du général Leclerc – Musée Jean Moulin, 4 Avenue du Colonel Henri Rol-Tanguy, 75014 Paris, Place Denfert-Rochereau, face aux Catacombes. Du mardi au dimanche, de 10h à 18h, 11 € l’entrée (en collaboration avec le Musée départemental de la Résistance & de la Déportation de la Haute-Garonne).
Image en début d’article : Daniel CORDIER devant Notre-Dame de Paris en 1945. (c) Famille Daniel CORDIER.
Comment Daniel CORDIER, d’abord acquis aux idées de l’Action française et indifférent aux choses artistiques, se transforme-t-il en amateur d’art et en ardent défenseur de la démocratie ? Sylvie ZAIDMAN, directrice du Musée de la Libération de Paris – Musée du général Leclerc – Musée Jean Moulin, raconte… Photo : (c) Musée de l’Ordre de la Libération. Vidéo : (c) LaTDI. Musique : (c) ES_Infinite Horizon – Tellsonic.

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