Selon Ameli, en 2015, 87 % des maladies professionnelles ayant entraîné un arrêt de travail étaient d’origine musculosquelettique. Ces pathologies, souvent liées à de mauvaises postures professionnelles, provoquent des douleurs dans les épaules, les poignets, les coudes ou le dos. En France, Ergotech fabrique depuis 2012 à Plescop (Morbihan) des dispositifs sur mesure pour prévenir ou soigner ce type de douleurs. Nous avons rencontré son fondateur Kévin Le Texier pour qu’il nous parle de son projet, de sa vision et de la façon dont il a surmonté la procédure de redressement judiciaire à laquelle il a dû faire face en 2015.
« Rien à voir avec l’ergonomie » : c’est ainsi que Kévin Le Texier présente son parcours estudiantin dans le marketing, la communication et le commerce international. C’est pourtant alors qu’il est encore étudiant qu’il s’intéresse pour la première fois à l’ergonomie. « Pendant ma première année, j’ai fait un stage dans une entreprise fabriquant du matériel médical afin de prévenir les escarres. C’est-à-dire les plaies apparaissant chez les patients obligés de demeurer en station allongée sur des lits d’hôpitaux pendant de longues périodes. Un jour, un médecin du travail nous appelle pour savoir si nous pouvions fabriquer des assises pour véhicules. Il s’agissait de bloquer les contraintes pesant sur les personnes présentant certaines douleurs et pathologies ».
D’un stage en entreprise… à la création de son entreprise
L’entreprise n’étant pas directement impliquée sur ce type d’activités, elle demande à Kévin si le sujet l’intéresse. Ce dernier accepte l’opportunité, pensant qu’elle lui permettra de valoriser son stage. Il se renseigne auprès du médecin du travail, qui lui explique la pathologie. « J’ai étudié le type de contraintes subies par un individu dans un véhicule : vibrations, chocs, etc. J’ai mis à profit l’outil industriel de l’entreprise pour concevoir plusieurs prototypes. Je suis finalement parvenu à trouver une solution efficace en collaboration avec le médecin du travail ».
Devant le succès représenté par cette première expérience, Kévin s’intéresse ensuite aux tendinites du poignet (canal carpien) dues à l’utilisation des souris d’ordinateur. Comme la première fois, il analyse les contraintes subies par le canal carpien dans certaines situations, à l’origine des douleurs qu’il veut atténuer. « Là encore, j’ai fabriqué des prototypes jusqu’à obtenir un produit qui fonctionne, et ainsi de suite ».
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Kévin finit par travailler pendant toutes ses vacances et tous ses étés dans la même entreprise… jusqu’à ce qu’elle fasse faillite en 2012. En effet, cette dernière ne se remet pas du déremboursement de son produit phare par la sécurité sociale. « J’ai attendu que l’entreprise soit totalement liquidée pour racheter aux enchères le matériel dont j’avais besoin et que je connaissais bien. Je l’ai recyclé en lançant ma propre société en décembre 2012 sur le marché des solutions et produits ergonomiques, Ergotech ».
Ergotech s’adresse aux prescripteurs
Pour imposer ses produits, Kévin s’adresse aux professionnels de la santé : médecins du travail, responsables de l’insertion des personnes handicapées, centres de prévention de la douleur, MSA – branche de la sécurité sociale dédiée aux métiers agricoles –, ergonomes, kinés ou encore ostéopathes. À chacune de leur rencontre, ces professionnels lui font part des problématiques qu’ils constatent.
Kévin étudie alors ces pathologies, en analysant les contraintes pesant sur le corps humain. « Avec mes collaborateurs, nous nous interrogeons sur l’origine des douleurs. Par exemple, quelles sont les postures susceptibles de les favoriser ? » Une fois que tout cela est bien compris, Kévin met au point un produit permettant de corriger et d’améliorer la posture, de bloquer les chocs et les vibrations, de limiter les compressions, de décharger les zones douloureuses ou encore d’accompagner certains mouvements. « Notre méthode est à la fois empirique et parfaitement informée, grâce à nos contacts constants avec les professionnels de santé ».
Pour fabriquer ses produits, Ergotech travaille avec différentes mousses aux propriétés variables : fermeté, élasticité, capacité à conserver la mémoire des formes, etc. « Nous avons en particulier développé un fluide de viscosité présentant certaines propriétés. Sa viscosité, constante, ne s’altère pas au contact de la chaleur ni du froid ». Ce fluide est utilisé pour les dispositifs d’assise dans les véhicules. Il permet d’épouser parfaitement la forme du fessier du conducteur. Les mouvements et les vibrations du corps permettent à la personne de conserver une mouvance tout au long de son trajet. Le dispositif accroît son confort d’assise, tout en limitant les compressions et en absorbant au mieux son poids. La viscosité du fluide absorbe également les micro-vibrations de la route.
Un réseau de conseillers en aménagement sur toute la France
Localisée à Plescop, près de Vannes, dans le Morbihan, Ergotech, compte pour l’instant 32 salariés. Cet effectif est cependant appelé à croître. Le marché « naturel » de la société couvre aujourd’hui la Bretagne et les Pays de la Loire. Dans un futur proche, Kévin compte allonger son rayon d’action pour couvrir l’ensemble du territoire national. En effet, le point fort de son entreprise consiste à fabriquer les produits qu’elle vend. Or, rappelle-t-il, « le principe de l’ergonomie réside dans le fait d’adapter l’environnement à l’utilisateur. Autrement dit, nous venons installer nos solutions sur place, nous réglons les postes de travail. La personne concernée essaye notre produit. Nous faisons les modifications nécessaires, dans une démarche sur-mesure ».
Or, le sur-mesure est très compliqué à mettre en œuvre par le biais d’un revendeur qui, depuis l’autre bout de la France, envoie à Ergotech des données parfois incomplètes. C’est la raison pour laquelle Kévin cherche à renforcer sa présence sur l’ensemble du territoire. Il souhaite ainsi essaimer des conseillers en aménagement intervenant directement auprès de ses clients, où qu’ils se trouvent en France. « Nous pourrons ainsi aller nous-mêmes analyser les postes de travail et proposer des solutions parfaitement adaptées aux utilisateurs finaux. C’est la raison pour laquelle nous sommes en train de finaliser une levée de fonds. Car ce développement de notre réseau tous azimuts nécessite de gros investissements ».
2015 : une année noire pour Ergotech
Avant d’en arriver à un tel succès, Kévin est passé par des moments délicats, dont le redressement judiciaire auquel il a dû faire face en 2015. Pour contenter ses grands-parents paternels devenus actionnaires d’Ergotech à hauteur de 40.000 €, Kévin embauche son père. Or, ce dernier réalise des actes de gestion discutables, en lui laissant notamment une ardoise conséquente auprès de l’URSSAF. « Je n’aurais pas dû laisser passer de tels agissements. Cependant, je n’osais pas aller à la confrontation avec mes grands-parents, par ailleurs actionnaires de ma société, à propos de leur fils, mon propre père ».
Après avoir reçu un courrier du tribunal de commerce de Vannes, Kévin se penche sur la situation administrative de l’entreprise et prend conscience de l’étendue des dégâts. Il appelle ses grands-parents en leur expliquant qu’il se trouve dans l’obligation de licencier son père. Eux ne sont pas d’accord et l’attaquent devant le tribunal de commerce de Vannes. Le procès dure trois ans. Pendant ce temps, son père l’attaque aux Prud’hommes pour licenciement abusif, procédure qui durera deux ans. Dans le même temps, Kévin se retrouve placé en redressement judiciaire, avec toutes les conséquences que cela implique. Pour couronner le tout, son fournisseur de fluide arrête de le livrer car les volumes sont trop faibles et qu’il n’y trouve pas son compte. « Je n’étais donc plus en capacité de produire. Nous sommes passés par des moments très difficiles ».
La rédemption d’Ergotech par l’innovation
Finalement, Kévin gagne ses procès et persuade ses grands-parents de lui céder leurs parts. Devenu associé unique en avril 2017, il retrouve un nouveau fournisseur de fluide. Ayant compris que le salut passait par l’innovation, il développe en 2017 une nouvelle gamme de produits ergonomiques entièrement personnalisés en fonction de chaque utilisateur et de chaque pathologie. En outre, il met en place un service d’études ergonomiques, de même qu’un service marketing et communication. « Nous avons fait un effort sur le digital en refondant complètement notre site internet. Résultat : nous sommes passés en deux ans de 1.500 à 11.000 visiteurs mensuels. Notre chiffre d’affaires, de seulement 350.000 € en 2015, est passé à plus d’un million en 2022. Grâce à la conclusion de nouveaux partenariats, nous avons l’ambition d’atteindre rapidement un chiffre d’affaires de 8 millions d’euros, d’ici deux ou trois ans ».
De ses mésaventures, Kévin retire deux règles simples. Premièrement, il convient de toujours prendre une décision quand certaines situations difficiles se présentent. Qu’importe si elle est bonne ou mauvaise. Mais rien n’est pire que l’immobilisme ou la paralysie. Deuxièmement, une entreprise qui n’innove pas est une entreprise qui meurt. C’est donc en innovant qu’Ergotech peut désormais envisager l’avenir en toute sérénité.
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Comment surmonter les obstacles selon l’entrepreneur Kévin Le Texier (Ergotech), confronté à un redressement judiciaire en 2015 : avoir un caractère de battant et ne jamais s’avouer vaincu. Pour autant, toujours garder le lien avec les créanciers. Photo : atelier de fabrication Ergotech (mousses et grande scie) – (c) Ergotech. Vidéo : (c) LaTDI.
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