C’est en visitant le Conseil d’État situé dans l’enceinte du Palais-Royal, non loin de la Comédie française, que nous avons rencontré pour la première fois Pierre-Yves Jaslet, guide-conférencier. Nous avons alors eu l’idée de l’interroger sur son parcours personnel et sur sa corporation. Très heureux d’exercer un métier fondé sur le plaisir d’acquérir et de partager des connaissances historiques, en toute indépendance, Pierre-Yves Jaslet déplore néanmoins que les intérêts des guides-conférenciers soient bien mal défendus par l’État. Alors que ces derniers contribuent à valoriser et à rendre vivants les monuments historiques aux yeux des nombreux visiteurs de notre capitale.
Devenu guide-conférencier par hasard, Pierre-Yves Jaslet exerce cette profession depuis quarante ans. « Accéder à ce métier n’était déjà pas chose facile. Il fallait connaître quelqu’un pour acquérir le savoir-faire nécessaire, pour connaître la façon de s’y prendre pour annoncer ses conférences dans la presse, etc. Il se trouve que j’avais une amie elle-même conférencière avec laquelle j’ai travaillé pendant un temps ». Titulaire d’une maîtrise d’histoire, c’est toutefois en préparant ses conférences que Pierre-Yves acquiert l’essentiel de ses connaissances.
Une programmation éclectique
Privilégiant la grande Histoire sur les anecdotes, Pierre-Yves couvre un grand nombre de périodes : l’Antiquité avec les thermes de Cluny, le Moyen-Âge avec les églises, mais aussi les 17e et 18e siècles, etc. « Tout m’intéresse ! », s’enthousiasme notre interlocuteur. Quand il organise des visites du Montparnasse, il se penche sur l’histoire artistique de la capitale. Au Faubourg Saint-Germain, il s’intéresse au 18e siècle. Et ainsi de suite. « Un des charmes de mon métier réside dans la variété des sujets que j’aborde. Par exemple, on trouve dans le 7e arrondissement nombre d’hôtels particuliers, de ministères, témoins d’une vie aristocratique très riche. Le contraste avec un quartier comme Barbès est de ce point de vue saisissant. Nous sommes dans deux univers différents et je me plais à passer de l’un à l’autre ».
Certes, certaines visites rencontrent plus de succès que d’autres. Mais il est difficile de prévoir l’affluence de chacune. « À une époque, les visites marchant à coup sûr concernaient Montmartre, le Marais ou l’Île Saint-Louis. Mais l’intérêt du public est fluctuant et les goûts varient en fonction des époques et de la mode ».
Pierre-Yves Jaslet ou la liberté de l’auto-entrepreneur
Exerçant sous le statut d’auto-entrepreneur, Pierre-Yves travaille avec deux types de public. D’une part, les individus peuvent trouver ses annonces sur différentes supports, tel L’Officiel des spectacles, ou encore son propre site internet. D’autre part, certains groupes déjà constitués le sollicitent également.
Complètement indépendant, Pierre-Yves apprécie cette liberté que lui donne son statut. Au contraire, les guides-conférenciers travaillant dans une institution telle qu’un musée ne sont pas complètement libres. Ni de leurs sujets ni de leurs propos.
Son seul impératif est lié à l’annonce de ses conférences par le biais de L’Officiel des spectacles. « Je me dois de leur communiquer ma programmation au moins quinze jours avant la parution de chaque numéro. Je dois également retenir certaines visites longtemps à l’avance, comme dans le cas du Conseil d’État ou de la galerie dorée de la Banque de France ». En outre, Pierre-Yves essaye d’établir un équilibre entre visites en intérieur, d’une part, et en extérieur, d’autre part. « C’est un des impératifs que je me fixe ».
Comment devient-on guide-conférencier ?
Comme Pierre-Yves le rappelle, l’accès à la guilde des guides-conférenciers matérialisé par l’obtention de la carte professionnelle de guide-conférencier est en principe réglementé. En formation initiale, les universités proposent des cursus amenant à l’obtention d’un diplôme de guide-conférencier. Par ailleurs, il est également possible de valider ses acquis professionnels.
Dans les faits cependant, tout le monde peut se lancer dans la profession. Certains sites internet publient les annonces sans aucune restriction. C’est le cas de billetreduc.com, par exemple. En revanche, L’Officiel des spectacles exige la carte. Malgré cela, comme s’en félicite Pierre-Yves, « c’est un métier s’exerçant très librement. Tout en sachant que les musées et la plupart des monuments exigent la carte de guide-conférencier ».
Guide-conférencier : une profession toujours plus réglementée
Quand il a commencé, Pierre-Yves n’avait qu’une maîtrise d’histoire. « Pour obtenir la carte de guide-conférencier, il fallait justifier de trois années d’École du Louvre ou bien d’une licence d’histoire de l’art, ce qui était mon cas. J’ai été agréé sur cette base. Cependant, j’ai connu une époque où, même pour faire des visites dans les musées, aucun justificatif n’était demandé ». Les choses ont bien changé à présent.
À ce propos, notre interlocuteur exprime un point de vue nuancé. Certes, il salue le travail des associations de guides-conférenciers. Parmi elles, il distingue le Syndicat National des Guides-Conférenciers dont il est adhérent. Ou encore le Syndicat des Guides-Conférenciers interprètes. Ces associations sont favorables à une réglementation de la profession, la réservant aux seuls détenteurs de la carte de guide-conférencier. C’est aussi une façon de la protéger vis-à-vis d’agences touristiques sans scrupule embauchant des guides non-qualifiés.
Pour le respect de la liberté de parole
Cependant, Pierre-Yves pense qu’il est important de respecter le principe de liberté de parole. « En défendant le droit du public à exercer sa liberté de choisir, je ne pense pas scier la branche sur laquelle je suis assis ». Ainsi, le type de visites grand public proposées par certains des ses confrères conviennent à des personnes pas forcément désireuses de s’instruire, mais simplement de se distraire.
En ce qui le concerne, Pierre-Yves essaie de se montrer plus pédagogue. Cela peut déplaire à certains, qui n’hésitent pas à lui mettre des appréciations défavorables. « J’ai eu quelquefois des retours de certains groupes, furieux. Car ils ne s’attendaient pas à ce que je leur parle de peinture italienne ». Malgré cela, Pierre-Yves pense que tous les types de guides-conférenciers ont leur place sur le marché. À la fois ceux s’adressant au grand public. Tout comme ceux qui, plus sérieux, ont néanmoins su fidéliser leur audience. « Mes visites ont également un côté divertissant. De temps en temps, il faut savoir faire rire. La culture n’est pas obligatoirement emmerdante ! »
L’insuffisant soutien de l’État
Cependant, notre guide-conférencier regrette parfois que, malgré tout le travail réalisé par les associations, l’État n’écoute guère les doléances de sa profession. « Les musées imposent à présent des droits de réservation ou droits de parole. Cela majore le coût de la visite d’autant si l’on vient avec un groupe, et donc nuit à la profession ».
Les droits de parole peuvent aller de 15 € pour les groupes de dix personnes dans les musées de la ville de Paris, à 70 € au Louvre. « Or, si vous devez répercuter sur votre groupe 70 € de droits de parole, auquel il convient d’ajouter le prix des entrées individuelles (17 à 18 €), cela revient à des visites à 40 ou 50 €. Cela limite fortement l’appétence du public. Donc on ne peut pas dire que l’État fasse grand-chose pour protéger les intérêts des guides-conférenciers. C’est tout le contraire, en réalité ».
Parmi les différentes formules que propose Pierre-Yves Jaslet, guide-conférencier parisien, il en est une qui remporte toujours beaucoup de succès. Il s’agit des déjeuners conférences qui représentent à chaque fois un moment de convivialité tout en permettant à son public de s’instruire… Photo : (c) Pierre-Yves Jaslet. Vidéo : (c) LaTDI.
Et aussi… guide-conférencier en ligne
Pour contrer cette tendance, Pierre-Yves a recours aux visites virtuelles. Cela remonte à la période du confinement. La seule possibilité de continuer à faire son métier reposait alors sur la vidéo. « C’est comme cela que j’ai commencé tout un programme de vidéoconférences. À présent, depuis la fin du confinement, l’engouement pour ce type d’événements en ligne s’est effondrée. Pour ma part cependant, je continue, en proposant deux vidéoconférences par semaine. Quelques personnes s’inscrivent régulièrement ».
Quant aux visites d’expositions de musées, il ne les propose plus que par vidéo en raison des contraintes économiques évoquées plus haut. D’autant que certains lieux, telle la fondation Vuitton, refusent carrément tout intervenant extérieur. « Dans une optique de surexploitation de leurs expositions, ces lieux ont recours à des étudiants en histoire de l’art qu’ils payent très mal, par ailleurs ».
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En outre, les vidéoconférences permettent d’aborder de nombreux sujets annexes au thème de l’exposition, en se libérant de l’assujettissement à un lieu. « Je fais également des vidéos sur des thèmes philosophiques ou historiques. J’envisage à présent de me lancer dans la réalisation de podcasts ». L’intérêt de la vidéoconférence et des réseaux sociaux consiste à laisser la parole aux auditeurs, une fois que Pierre-Yves a achevé son exposé. Certaines interventions du public permettent ainsi d’enrichir les débats.
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