Les Raboteurs de parquet Gustave CAILLEBOTTE

Le portrait de Gustave CAILLEBOTTE en artiste queer (?), par Xavier BEZARD

Gustave CAILLEBOTTE, comme vous ne l’avez jamais vu !!! À l’occasion de l’exposition « Peindre les hommes » se tenant au Musée d’Orsay jusqu’au 19 janvier 2025, nous nous sommes entretenus avec Xavier BEZARD, véritable « intime » du peintre. Ce dernier lui a en effet consacré un récit imaginaire, le faisant tomber amoureux d’un homme, dans son livre Gustave (2015). Aujourd’hui, Xavier BEZARD revient pour nous sur son analyse de l’œuvre et de la personnalité solaire de CAILLEBOTTE.

Gustave CAILLEBOTTE, peintre homosexuel ? Pour Xavier BEZARD, qui a consacré à l’artiste un récit apocryphe (Gustave) en lui prêtant une histoire d’amour avec un homme, il n’y a qu’à observer ses tableaux pour s’en convaincre ! Ainsi, son Nu sur un canapé (féminin) n’est guère sensuel… Selon Xavier BEZARD, « la dame représentée n’est pas si lascive que cela. Elle a une espèce de froideur, si bien qu’elle n’inspire pas du tout le désir mais plutôt l’empathie. Elle a l’air de vouloir se cacher, donnant l’impression qu’elle pose contre son gré. Les marques de ses sous-vêtements sont encore visibles sur sa chair. Par contraste, nombre de portraits d’hommes par CAILLEBOTTE sont incroyablement sensuels ».

C’est particulièrement manifeste pour cet Homme au bain. D’abord, le spectateur a l’impression de surprendre l’intimité du modèle, en train de s’essuyer. Entre ses jambes, on aperçoit l’ombre de son sexe. « D’habitude, ce type d’exercices de style est exclusivement réservé aux femmes. En effet, le thème de la femme sortant du bain est un grand classique de la peinture du 19e siècle. Degas en a d’ailleurs produit un grand nombre. C’est le sujet érotique par excellence qui permet aux patriarches de l’époque d’avoir dans leur salon une peinture à la fois convenable et excitante ».

Les Raboteurs de parquet, choc esthétique à la sensualité inattendue

Les accointances masculines de CAILLEBOTTE prennent toute leur dimension avec Les Raboteurs de parquet (1875). « Le peintre y montre une scène d’hommes au travail. Torse nu, ils peinent à la tâche. Pourtant, cela n’enlève rien à leur incroyable grâce. D’autant que, si on observe bien, les deux personnages principaux échangent un regard de connivence, donnant à la scène une ambiguïté qui surprend ».

Comme le rappelle Xavier BEZARD, Les Raboteurs constitue un choc pour l’époque. Non seulement en raison du sujet et de son traitement, mais aussi par le décadrage introduit par CAILLEBOTTE. Les photographes vont s’en inspirer. Cela devient une caractéristique du peintre. « Dans plusieurs de ses tableaux, il coupe ainsi ses personnages ».

La toile donne l’impression d’un enfermement terrifiant pour les personnages pris entre les lambris, ressemblant aux barreaux d’une prison, et la grille de la fenêtre. De même, ils semblent écrasés par la composition, avec un point de fuite qui leur passe au-dessus de la tête. « Cependant, tout cela est contredit par la lumière matinale d’une incroyable douceur. Les corps en deviennent un peu dorés, ce qui induit une sensualité diffuse sautant pourtant aux yeux ». Cette douceur, on la retrouve dans toute l’œuvre de CAILLEBOTTE, en particulier lorsqu’il peint des personnages masculins.

Le Pont de l’Europe joue sur les regards des personnages

Parmi les autres tableaux ambigus de CAILLEBOTTE, Xavier BEZARD cite Le pont de l’Europe (1877). On y voit un bourgeois qui double une femme, qu’au début on pense être sa compagne. En réalité, sa toilette ostentatoire la placerait plutôt au rang des courtisanes. Tandis que le bourgeois la double, son regard se pose sur un ouvrier penché en avant au-dessus de la rambarde du pont. Que regarde le bourgeois, alors que l’ouvrier observe rêveusement le passage des trains ? Si on trace les lignes de perspective, le premier regarde les fesses du second. L’ouvrier lui-même regarde une collection de formes phalliques dépassant d’une locomotive.

Gustave CAILLEBOTTE Linge séchant Petit-Gennevilliers
Gustave CAILLEBOTTE, Linge séchant, Petit Gennevilliers, 1888. (c) Collection particulière (Paris, Comité Caillebotte).

Le Linge séchant, Petit-Gennevilliers, une ode à la liberté ?

Parmi les dernières toiles de CAILLEBOTTE, Xavier BEZARD attire notre attention sur Le Linge séchant, Petit-Gennevilliers (1888). On y voit des chemises d’hommes étendues, en train de sécher, que le vent fait s’envoler. Mais elles sont retenues au fil d’étendage qu’elles finissent par dissimuler. « Symboliquement, on a l’impression que le dernier fil de l’interdit va sauter et que la sensualité de ce fétichisme de la chemise d’homme va pouvoir s’exprimer ».

Xavier BEZARD a une tendresse particulière pour cette toile, en raison de sa liberté de traitement. « Sa touche est incroyablement vive. Au niveau des couleurs, c’est pareil. Et puis ce propos : ‘Je suis encore fixé à mon fil. Mais le fil, on ne le voit déjà plus. Et un jour, je vais m’envoler’. Je trouve cela vraiment beau ».

Silence assourdissant autour de la vie intime de CAILLEBOTTE

CAILLEBOTTE est à son époque un personnage très connu. L’une des premières fortunes de la capitale, il se montre très généreux de ses deniers. En retour, il est très apprécié. Pourtant, après sa mort, il tombe dans l’oubli. Il faut attendre les années 1970, avec les travaux respectifs de Marie BERHAUT et Daniel CHARLES, pour que ces derniers le fassent ressortir de l’anonymat. Leurs recherches sur la biographie du peintre-régatier sont extraordinairement documentées.

Cependant, l’un comme l’autre restent silencieux sur la vie amoureuse de Gustave. On lui connaît certes une bonne amie, Charlotte BERTHIER, avec laquelle il vit en concubinage, véritable scandale pour l’époque ! Pour Xavier BEZARD cependant, leur relation est très bizarre. « Elle ne l’accompagne pas dans ses activités de peintre, régatier, etc. Elle reste cantonnée au Petit-Gennevilliers. Et il semblerait qu’elle ait une vie bien à elle. À tel point que je me suis même demandé si elle n’était pas simplement son intendante ».

De là à penser que CAILLEBOTTE vivait dans le déni de son homosexualité, le pas est vite franchi ! Il se serait contenté d’exprimer cet aspect de sa personnalité dans ses peintures. Fort de cette intuition, Xavier BEZARD lui invente une histoire d’amour homosexuelle pour lui offrir ce qu’il se serait peut-être interdit de son vivant…

Gustave CAILLEBOTTE, un collectionneur visionnaire

Au-delà du mystère planant sur son intimité, il ne fait guère de doute que CAILLEBOTTE a considérablement contribué à l’émergence de l’école impressionniste. Il utilise ainsi son immense fortune pour aider les peintres, tout en se constituant une fabuleuse collection. La plupart de ses tableaux ont d’ailleurs fini au musée d’Orsay. « Il achète les toiles au prix fort. Dans sa collection, on ne trouve que des œuvres d’importance majeure. RENOIR, quand il ouvre le legs de CAILLEBOTTE à l’État français, n’en revient d’ailleurs pas ! »

Au-delà des nombreux achats de toiles à ses amis impressionnistes, CAILLEBOTTE prête directement de l’argent à PISSARRO, pendant des années. Ce dernier aurait très certainement arrêté de peindre autrement. Or, CAILLEBOTTE n’a jamais demandé à être remboursé. « Il avait cette élégance-là. Concernant DEGAS, avec lequel il se dispute violemment, il n’a de cesse de reconnaître son immense talent ».

CAILLEBOTTE aura ainsi consacré sa fortune à aider les autres, au point de s’oublier lui-même. Par exemple, aucune de ses toiles ne figure dans son legs à l’État. De lui-même, il dit : « J’espère seulement être un peintre honnête, dans l’antichambre de Monet, Degas, etc. » CAILLEBOTTE ne se considère pas sur le même plan que les autres. Son extrême humilité est frappante, alors que Les Raboteurs de parquet est désormais considérée comme une œuvre majeure.

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L’influence de la peinture de CAILLEBOTTE

Malgré les liens personnels qui l’unissent à l’école impressionniste, son œuvre en elle-même est difficile à classer. Elle reste en marge de l’impressionnisme. « Edvard MUNCH fait un tableau quand il passe à Paris, représentant un homme au balcon. Or ce tableau est un copié-collé de L’Homme au balcon de CAILLEBOTTE. MUNCH reprend l’utilisation de la perspective par son prédécesseur, jusque dans Le Cri. Donc les expressionnistes s’inspirent de CAILLEBOTTE, en ayant recours au même genre de mises en scène de la banalité, en accentuant les côtés angoissants ».

Par ailleurs, certaines toiles comme Le Pont de l’Europe ont des frémissements surréalistes, « avec ces cheminées de locomotives qui s’apparentent à des formes phalliques bizarres. Finalement, CAILLEBOTTE représente un vivier pour les peintres qui le suivent. Comme s’il avait pressenti tous ces courants sur le point d’émerger. Même s’il ne les exploite pas complètement, on les voit déjà à l’œuvre dans son travail ».

Gustave, par Xavier BEZARD, publié aux éditions ErosOnyx en 2015 et réédité en 2024 est disponible en cliquant sur ce lien.

Exposition Caillebotte Peindre les hommes au Musée d’Orsay jusqu’au 19 janvier 2025.

Portrait de Gustave CAILLEBOTTE par l’écrivain Xavier BEZARD. Ce dernier est à l’origine d’un récit apocryphe dans lequel il relate l’histoire d’amour entre le peintre et un autre homme (‘Gustave’, paru aux éditions ErosOnyx en 2015, réédité en 2024). Photo : (c) X. BEZARD. Vidéo : (c) LaTDI. Musique : (c) ES_Septembre – Magnus Ludvigsson.

"Gustave" Xavier BEZARD aux éditions ErosOnyx.

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